N°115 – Faire parler les arbres anciens…

 

Service de la Culture et du Patrimoine – Pu no te Ta’ere e no te Faufa’a TumuGiant banyan at the Kamuihei site on Nuku Hiva

 

Rencontre avec Annette Kühlem, archéologue.

 

 

L’archéologue allemande Annette Kühlem a effectué, en début d’année, une mission à Nuku Hiva et Hiva Oa, où elle travaillait sur un programme de recherche inédit en Polynésie. Celui-ci s’intitule « Les arbres sacrés de Polynésie française : détermination de la contemporanéité des arbres sacrés avec les structures archéologiques à fonction rituelle et religieuse dans l’archipel des Marquises ». De nombreux arbres sacrés (banyan, ‘ati, mape, miro, ‘aito…) poussent sur ou aux alentours des grands sites cérémoniels. L’objectif de cette étude est de déterminer d’une part l’âge de ces arbres et d’autre part, si ces arbres ont été plantés intentionnellement par l’homme et pour quelle utilisation.

Quelle est la spécificité de votre travail d’archéologue ?

J’étudie les arbres sacrés en Polynésie ; il s’agit d’un projet développé par l’Institut archéologique allemand sur l’île de Pâques, où j’ai travaillé pendant 7 ans. Nous y avons trouvé des plantations de palmiers faisant partie d’un site sacré. Cela a éveillé mon intérêt pour les arbres comme partie prenante de l’architecture religieuse.

Quel était l’objectif de votre mission aux Marquises et avec qui travaillez vous ?

La première étape de mon travail a été de localiser des sites avec d’anciens arbres. Jean-François Butaud, botaniste, m’a donné beaucoup d’informations sur les sites qui pouvaient m’intéresser. William Teikitohe à Nuku Hiva et Robert O’Connor à Hiva Oa et Tahuata étaient mes guides. Sous les tropiques, le fait qu’un arbre soit très gros ne signifie pas forcément qu’il est très vieux. La taille d’un arbre dépend des conditions ambiantes. La contemporanéité du site et de l’arbre doit être établie pour exclure la possibilité que l’arbre ait grandi après l’abandon du site.

 

Comment procédez-vous ?

 

Je travaille avec un dendrochronologue* de l’Institut archéologique allemand, le Dr Karl-Uwe Heussner. Il a appliqué deux méthodes pour dater les arbres. La première consiste à prélever des échantillons au cœur du tronc, technique qui n’est possible que pour les espèces qui ont des anneaux « annuels ». Ceux-ci peuvent être comptés pour établir un taux de croissance annuel moyen. En appliquant le diamètre du tronc à la hauteur où l’échantillon a été prélevé, nous pouvons calculer un âge très précis de l’arbre. Cependant, en l’absence de saisons annuelles claires, de nombreux arbres tropicaux ne créent pas d’anneaux annuels distincts. Seules deux espèces d’arbres, le banyan (Ficus prolixa) et le toa ou aito (Casuarina equisetifolia) ont des anneaux de croissance clairs. Autrement, nous utilisons la datation au carbone 14 pour établir l’âge des arbres. La plupart des échantillons sont actuellement en cours d’analyse, mais nous avons déjà les résultats de trois tamanu (Calophyllum inophyllum) de Nuku Hiva.

Et que nous apprend l’âge de ces arbres autour des sites sacrés ?

Pour l’exemple des trois tamanu étudiés, ils sont directement associés à un site sacré qui est connu pour avoir été utilisé jusqu’au début de la période coloniale. Les arbres datent de la fin du XVIIème siècle et ont donc plus de 300 ans ; ils sont contemporains de l’utilisation de ces sites. Au cours d’une précédente campagne, j’ai travaillé avec un géomètre, Christian Hartl-Reiter, pour créer des cartes topographiques des sites, y compris l’emplacement des arbres. Ces plans sont actuellement en cours d’élaboration. La prochaine étape consistera à évaluer le rôle des arbres en tant que partie intégrante des sites religieux et à évaluer s’il existe des modèles répétitifs relatifs à leur disposition.

Quels liens avaient les arbres avec les structures religieuses d’autrefois ?

En Polynésie française, il existe de nombreux mythes et légendes au sujet d’arbres et de leur caractère rituel. On sait à quelle divinité la plupart des arbres étaient reliés et certaines espèces ont été plantées intentionnellement près des marae / me’ae. Ils jouaient un rôle pendant les cérémonies et dans certains cas servaient pour l’inhumation. Il y a beaucoup de questions auxquelles j’essaye de répondre. Les arbres plantés suivent-ils une disposition prévue par rapport à l’architecture des sites sacrés ? Y a-t-il des modèles répétitifs et qu’est-ce qui les détermine ? Quelles sont les corrélations entre les espèces d’arbres et le type de site ou l’emplacement d’un site ?

 

* La dendrochronologie est une technique qui permet de dater avec précision les sites archéologiques qui contiennent du bois.

 

 

 

 

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