N°110 – Histoire d’une robe
Service de l’Artisanat Traditionnel – Pu ‘ohipa rima’i
Rencontre avec Virginie Biret, créatrice de tifaifai.
Texte et photos : SF.
Cette robe tifaifai imaginée et confectionnée par Virginie Biret a fait sensation lors du défilé organisé pour le Festival Polynesia, en septembre dernier. Elégante et raffinée, la robe est également porteuse de sens : elle renferme une légende. Découverte…
Six mois de travail et six mètres de tissus ont été nécessaires pour réaliser une telle création. On comprend mieux l’engouement que connaît la robe créée par Mama Virginie. Lors du défilé des artisanes au Festival Polynesia, en septembre dernier, elle a fait l’unanimité auprès du public. Ce n’est pas la première fois que cette robe rencontre un tel succès puisque elle a déjà remporté le prix du Heiva i Rima’i en 2002. Si la forme est plutôt traditionnelle, le contenu est pour le moins original. Quelque soit l’angle par lequel nous l’observons, elle raconte une histoire : la légende de Faatea, le bossu. « Pour chaque partie que je confectionnais, j’avais la légende à côté de moi pour m’y référer », confie Virginie. Pour continuer à travailler, aujourd’hui, elle se fait aider de sa belle-fille, Maguy, à qui elle transmet son savoir. Alors que Maguy place la robe sur un mannequin, Virginie, qui a ressorti les dossiers d’époque, tente de raconter la légende. Assise près de la table de son atelier dans sa modeste maison de Paea, elle s’excuse d’avance de n’avoir que la version polynésienne. Sa mémoire lui joue des tours, elle ne sait plus où se trouve la version française. « Ce n’est pas moi qui l’ait écrite, c’est Lydie Poihipapu, qui malheureusement nous a quittés depuis ».
La légende de Faatea
On est en 2002. Mama Virginie, déjà connue pour ses splendides tifaifai, participe avec l’association de Pirae, Te Vahine Arahiri, au Heiva i Rima’i. A l’époque, les organisateurs donnent un thème aux artisanes : une légende. C’est celle de Faatea, le bossu, qui est choisie par l’association. Cette légende raconte l’histoire d’un couple qui, banni par les Dieux, ne peut avoir d’enfant. La jeune femme et le jeune homme supplient le dieu de la nuit de leur en donner un. Le miracle a lieu mais l’enfant nait bossu. Lorsque ce dernier arrive à l’âge du mariage, ses parents lui cherchent une épouse. Un moment difficile. Qui voudra épouser un bossu ? A l’époque, les jeunes femmes n’ont pas vraiment leur mot à dire. Ainsi, les parents de Faatea demandent la main d’une très belle jeune fille. Celle-ci ne comprend pas pourquoi jolie comme elle est, elle doit se marier à un bossu. Mais elle n’a pas le choix. Le mariage a lieu. Une fois l’anneau passé au doigt, les jeunes époux se réfugient dans une grotte, où finalement ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. « La robe raconte toute cette histoire », explique Virginie qui tend de parts et d’autres le tissu de sa création pour bien montrer les scénettes représentées.
Un travail de longue haleine
Devant, on retrouve les parents du garçon et ceux de la fille. On y voit aussi le bossu venant demander la main à sa belle qui refuse le mariage et se cache derrière un arbre. Sur le côté, on retrouve cette jeune femme cachée, et le garçon. Cette fois, le bossu s’agenouille devant ses parents, il leur demande pardon pour tout ce qu’il leur a fait subir à cause de son handicap. Derrière, à quelques centimètres, Faatea demande la main de celle qui deviendra son épouse. Enfin, à l’arrière, en bas du dos, on retrouve l’union du jeune couple, représenté en portrait. « Ca été très difficile de représenter toutes ces scènes », se souvient Virginie qui a principalement utilisé du tissu vert pour symboliser l’espérance. Du gris, de l’anis, du marron, du blanc ou du noir viennent parfois casser la suprématie du vert. Après le succès rencontré lors du Heiva i Rima’i, cette robe fut l’objet de toutes les convoitises. Un Hawaiien a fait une proposition d’achat, pour – paraît-il – l’offrir à la reine d’Honolulu. « Je n’ai pas voulu la vendre. Elle est unique, je veux la garder pour mes enfants et petits-enfants ». La robe a également séduit Bernadette Chirac lors de sa visite en Polynésie française en 2003, aux côtés de son mari Jacques Chirac alors Président de la République.
Toute une vie de pratique
Malgré toutes les sollicitations, Mama Virginie est bien déterminée à garder la robe pour sa famille. Elle est le fruit d’un travail de toute une vie car même si elle n’a demandé « que » six mois de travail, elle représente tout le talent de sa créatrice. Originaire des Tuamotu, Virginie a commencé le tifaifai à l’âge de 16 ans en regardant sa tante et sa grand-mère faire. « Trois mois avant le Heiva, elles préparaient tout, je les observais », se rappelle Mama Virginie qui a rapidement montré ses qualités d’artisanes. Elle achète ses premiers draps et initie ses cousines à la pratique. Puis, la vie la mène à Nouméa en Nouvelle-Calédonie où elle s’installe jusqu’à la mort de son mari, en 1982. Là-bas, elle ne lâche pas le tifaifai. Elle trouve des femmes qui, comme elle, s’épanouissent dans l’artisanat. Le tifaifai est alors un passe-temps plus qu’un travail. Son retour en Polynésie va faire basculer les choses.
« Le tifaifai m’a sauvée »
« Le tifaifai a sauvé ma vie et celle de mes enfants. C’est grâce à cette activité que j’ai pu, après le décès de mon mari, subvenir aux besoins de mes enfants ». Aujourd’hui, Mama Virginie continue de sillonner les expositions durant l’année. Ses magnifiques créations racontant d’autres légendes, reprenant des tableaux ou des motifs de fleurs et fruits locaux, sont régulièrement exposées aux salons artisanaux.