N°109 – Pina’ina’i : place au spectacle littéraire

 

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Rencontre avec Moana’ura Tehei’ura, chorégraphe et concepteur de Pina’ina’i.

 

Texte : LR.

 

La sixième édition de Pina’ina’i se déroulera dans la soirée du 22 octobre. Pina’ina’i, c’est un spectacle littéraire qui se fait l’écho des textes des auteurs autochtones. Cette année, ils ont choisi d’écrire autour d’un thème fort : les trous de notre mémoire collective. Au tour ensuite de Moana’ura Tehei’ura de mettre en scène ces textes.

 

Le vent agite les feuilles du banian. Le ciel est gris, menaçant, mais sans pluie. Juste quelques gouttes de temps en temps comme pour éviter que le sable du paepae ne vole. Sur la plateforme, Moana’ura Tehei’ura et Tuarii Tracqui répètent les gestes. Sans musique et puis avec. Les autres danseurs arrivent un peu plus tard. Pina’ina’i était un événement littéraire et il est devenu un événement artistique, mêlant les mots a la danse et la danse aux mots. Certains événements axés sur la danse utilisent les textes comme prétexte au spectacle. Avec Pina’ina’i, les corps portent et incarnent les mots, véritable raison d’être de la rencontre. Ici, pas de costume. Tout le monde est en blanc. C’est la littérature autochtone qui doit être la star du spectacle. « Pina’ina’i, c’est avant tout l’écho. On a sous-titré cet événement en français : l’écho de l’esprit et des corps puisqu’il s’agit d’un spectacle qui met en avant la littérature autochtone », explique Moana’ura Tehei’ura, le concepteur de Pina’ina’i. « On a voulu rendre hommage a cette écriture qui existe, qui est méconnue,

par nous-mêmes et par les autres également. Soutenir cette écriture avec et par le corps, la danse, la musique. » Les auteurs locaux avaient trouvé une façon de se faire entendre avec la création de la revue Littérama’ohi. Il fallait donc promouvoir cette revue, la faire lire, la faire connaître, donner de la voix aux écrivains polynésiens. Des lectures publiques sont régulièrement organisées au marché de Papeete mais l’association cherchait encore un autre moyen pour valoriser de manière plus forte l’écriture autochtone.

Cette autre formule, c’est Moana’ura Tehei’ura, chorégraphe et membre de l’association

Littérama’ohi, qui l’a proposée. « Il était utile d’aller a la rencontre des gens et d’aller dans des lieux aussi populaires que le marché pour mettre en avant cette littérature. Faire ces lectures publiques est très important. Mais il fallait donner une autre approche et un autre regard. »

 

Faire danser l’écriture

 

Il n’y avait pas de scene plus appropriée que le paepae a Hiro, qui se trouve au

coeur de la Maison de la culture, sublimé par un immense banian. « Il fallait que nous allions vers les gens et que nous allions vers les espaces. Le paepae a Hiro est très symbolique puisque il est dédié au grand poète Henri Hiro. Il s’agit de l’espace le plus approprié en tant qu’amoureux de cette littérature autochtone, en tant qu’auteur autochtone. Revenir ici était très important. » Cet espace accueillant permet en effet d’aller vers les autres, d’amener la

littérature autochtone vers ceux qui ne viennent pas a elle. Permettre aux gens de « se décomplexer » face a cette littérature, comme le dit Moana’ura Tehei’ura. Car quelques fois, « on pense que la littérature dans son essence même est réservée a l’Occident ». Alors, pour atteindre ceux qui croient que la littérature n’est pas pour eux, les textes sont devenus les stars d’un spectacle. « Il ne fallait pas juste lire et improviser mais mettre en scène le mot pour lui redonner vie. Redonner vie a cette polysémie dans le mot qui existe dans cette littérature autochtone. » Pina’ina’i, c’est la rencontre d’une société orale avec une culture littéraire. Moana’ura Tehei’ura parle de « l’ignorance » qui existe autour de cette écriture autochtone dont on fait peu la promotion. Grâce au partenariat avec la Maison de la Culture et la mairie de Papeete, la sixième édition de Pina’ina’i peut avoir lieu. Mais c’est aussi le succès populaire de l’événement qui a permis à l’association de continuer sur cette voie. Près de 700 personnes sont venues voir le spectacle en 2015. Une partie d’entre eux est ensuite repartie avec la revue Littérama’ohi ou tous les textes de Pina’ina’i sont regroupés, avec d’autres encore. Une promotion réussie de la littérature autochtone. Pina’ina’i a parfois surpris, agacé, enthousiasmé. Tout comme la littérature autochtone qui parle de notre société d’aujourd’hui. « C’est une écriture des maux de la société actuelle. On retrouve des thématiques qui nous concernent, dans notre langue, dans notre façon de penser. C’est ça qui fait l’intérêt et le succès de Pina’ina’i. Ca parle, ça touche, ça remue les tripes, parfois, ça interroge, ça met en colère et c’est ce que recherche Pina’ina’i. C’est un lieu ou on vient questionner, ou on vient aussi s’engager pour une cause, pour une idée. Avant, on recalait les auteurs au stade d’auteurs pour les spectacles du Heiva. Maintenant on reconnaît la qualité des auteurs. » Les premières étoiles apparaissent dans le ciel, les quelques bourrasques qui soulèvent les feuilles mortes sur le paepae font frissonner les curieux venus observer la répétition. Les filles sont arrivées, a elles de monter sur scènes et d’enchainer les gestes, les pas. Moana’ura Tehei’ura leur rappelle le texte, ce que la danse doit faire passer comme histoire. Il s’agit de mettre des pas sur des mots et de faire danser l’écriture.

 

 

 

Nathalie Salmon-Hudry, auteur de « Je suis née morte »

 

Le livre de Nathalie Salmon-Hudry, « Je suis née morte », a été l’oeuvre choisie pour la deuxieme édition du Pina’ina’i, en 2012. Un texte fort qui raconte son histoire, celle d’une petite fille qui a du être réanimée des sa naissance et d’une jeune femme qui en a gardé des séquelles importantes. En tant qu’auteur, elle a donc vu son texte mis en scène. Rencontre.

 

Que ressent-on lorsque son texte est lu et interprété sur scène devant des spectateurs ?

Les émotions qu’on voulait transmettre aux lecteurs (rires). Mais les émotions vibraient avec notre musique maternelle et la ferveur des danseuses et des danseurs. Et la, il faut saluer le travail de Moana’ura et de sa troupe. Ils arrivent à donner vie a nos mots inertes, sans les dénaturer, tout en gardant leur essence. C’est beau !

 

Avez-vous été surprise par la façon dont votre texte a été mis en scène ?

Non. La mise en scène était simplement belle, laissant aux mots toute leur place.

Est-ce que ce spectacle a donné une résonance, un écho, différent a votre livre ?

Une autre énergie, je dirais. L’énergie de la parole et des gestes.

 

Selon vous, est-ce que la littérature a besoin d’une scène pour être promue ?

Oui et non. Oui car la danse fait plus partie de notre culture que la lecture et attire du monde. Donc un tel spectacle est une invitation ‘populaire’ à lire. C’est un autre atout, non négligeable. Et non parce que la littérature recherche désespérément son public. Il faut faire attention que les gens ne s’arrêtent pas a un extrait dansé, passant a côté de l’œuvre complète. Il faut que le spectacle impressionne assez pour susciter la curiosité mais laisse assez de mystères au livre pour exister.

 

Qu’est-ce que Pina’ina’i vous a apporté ?

Une danse, l’impression d’avoir dansé du ‘ori tahiti… C’est magique pour quelqu’un comme moi !

 

 

Mettre en scène la littérature autochtone

 

Moana’ura Tehei’ura, chorégraphe, est chargé de la mise en scène des soirées Pina’ina’i. Il doit porter les textes avec la musique et la danse. La première édition était un pari. Et c’est devenu « une belle réussite », à ses yeux. Si le spectacle consiste a mettre en scène des textes, les formules ont plusieurs fois varié : autour d’un seul et même thème, autour d’un seul et même auteur, ou bien des textes libres. « De manière expérimentale, on essaye de changer un peu la donne. Pour la première édition, on a demandé aux auteurs de fournir ce qu’ils voulaient. L’écriture était totalement libre et mon rôle a été de mettre en écho tous ces textes-la, de trouver un fil rouge. Sans qu’aucun auteur ne se soit concerté. » Il y a aussi eu d’autres évolutions, auparavant des auteurs ou des orateurs lisaient les textes a voix haute, aujourd’hui ces personnes doivent « mettre en mots les textes ». Ce ne sont plus des lectures mais presque du théâtre. Cette sixième édition sera sur le thème « les trous de notre mémoire collective ». « Une idée géniale trouvée par Chantal Spitz, alors qu’elle lavait ses casseroles, s’amuse Moana’ura Tehei’ura. Les premiers textes sont arrivés et la mise en scène a commencé. « Ce n’est pas un thème facile, chacun a essayé de jouer le jeu et je pense qu’on aura de bonnes choses. C’est assez intéressant comme chacun perçoit le thème. » Neuf auteurs vont produire des textes pour cette édition du Pina’ina’i. « Il est drôle de voir comment les différentes écritures se font écho sur scène. L’écho qui est la définition même de ce spectacle. On s’est rendu compte que les textes se répondent sur les thématiques, dans la forme, dans les jeux de scène également. C’est important. » Et quelques fois, Moana’ura Tehei’ura déstructure tout, prenant les questions qui apparaissent dans tous les textes pour n’en faire qu’une seule scène ou bien se servant d’un texte pour faire plusieurs scènes. Le chorégraphe s’amuse avec les mots, les textes. Il réinterprète. « C’est ça qui est génial. J’ai la chance de travailler avec des auteurs qui sont pour la plupart encore vivants. Souvent, je leur demande de venir voir ma réinterprétation du texte. Ils sont parfois très surpris et ont même peur de leur écriture, de voir ce qu’elle devient. Ca leur échappe. L’écriture peut être violente et ils ne s’en rendent pas compte. L’auteur n’est plus maître de son oeuvre, comme le chorégraphe quand le spectacle commence. L’écrivain n’a plus le contrôle dans la mesure où il a décidé de mettre son écriture individuelle, un acte égoïste finalement, au service d’une communauté, puisque les écritures vont etre mises en écho. L’écrivain n’est plus maître de cela et de la perception par le public. Mais ils se pretent au jeu car ils sont au courant des le départ. » Au niveau de la danse aussi c’est un challenge car les danseuses et danseurs doivent interpréter une histoire, des textes, une pensée. « J’ai la chance et le privilège de travailler avec les meilleurs danseurs de plusieurs groupes. Plusieurs ont fait la demande pour participer au spectacle puisque c’est aussi devenu un événement dans le milieu artistique du ‘ori tahiti. » Ces artistes utilisent une autre forme d’expression avec Pina’ina’i. Et « ça leur plaît », assure Moana’ura Tehei’ura.

C’est aussi une autre vision de la danse. Et ici, elle est libre. Il n’y a pas de règlement à suivre.

Seule la littérature compte. Les danseurs traduisent un texte, comme ce texte est contemporain, la danse l’est aussi. Pina’ina’i donne vie aux mots et oralise l’écriture ».

 

Littérama’ohi

 

La revue Littérama’ohi est une revue littéraire fondée par un groupe d’écrivains polynésiens librement associés. Elle paraît une à deux fois par an et regroupe aussi les textes du spectacle Pina’ina’i. Tout artiste et écrivain polynésien est invité a y collaborer que ce soit en reo maohi, en français, ou dans n’importe quelle langue étrangère occidentale, polynésienne ou chinoise. L’objectif de cette association est de créer un mouvement entre les écrivains polynésiens, tisser des liens entre eux, faire connaître la variété, la richesse et les spécificités des auteurs originaires de la Polynésie et de donner a chaque auteur un espace de publication. Les textes sont aujourd’hui lus au marché de Papeete et mis en scène lors des spectacles Pina’ina’i. Moana’ura Tehei’ura cherche d’autres manières encore de promouvoir ces écrivains en allant toujours vers le public.

 

Pina’ina’i 6.16 : Pratique 

  • Samedi 22 octobre, à 19h
  • Sur le paepae a Hiro de la Maison de la Culture
  • Durée : 1h10
  • Entrée libre

+ d’infos : 40 544 544 – www.maisondelaculture.pf

 

Les auteurs :

 

Patrick Amaru, Flora Devatine, Heinarii Grand, Moeava Grand, Simone Grand, Odile Purue, Iva, Goenda Reea, Steve Reea, Chantal Spitz, Régina Suen Ko, Ahuura Teamotuaitau.

 

 

Les orateurs :

 

Clothilde Grand, Heinarii Grand, Maman Hinanui, Matarua, Mauiino, Maite Pani, Teura Opuu, Odile Purue, Goenda Reea, Chantal Spitz, Teiva Manoi.

 

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