N°109 – « Nos voix et nos arts sont des langages universels »
Ela To’omaga, peintre, présidente de l’association Siapo (Société Itinérante d’Artistes du Pacifique et d’Océanie).
Propos recueillis par LR.
Ela To’omaga est la présidente de l’association Siapo. Cette « Société Itinérante d’Artistes du Pacifique et d’Océanie » est née en 1999 et a pour objectif d’être la voix des artistes et de leurs convictions, mais aussi de les encourager dans leur travail. Trois artistes kanak, membres de Siapo, vont exposer au Centre des Métiers d’Art au mois d’octobre.
Pouvez-vous nous parler de l’association Siapo ?
L’association Siapo a été créée en 1999 comme un réseau de soutien pour les artistes insulaires du Pacifique en Nouvelle-Calédonie. L’objectif pour les membres fondateurs – Tyssia Gatuhau, Patrice Kaikilekofe, Paula Gony Boi, Micheline Neporon, Yvette Bouquet, Denise Tiavouane, Steeve Thomo, Marie Tamole, Alexi Fisi’ipeau et moi-même – et de l’association est de contribuer a la promotion des arts plastiques contemporains et de développer des projets communautaires en Océanie et plus largement partout ailleurs !
Quelle est aujourd’hui la place des artistes océaniens dans le monde ?
Kiki Karé disait : « Kanaky a sa place dans ce monde. » Nos voix et nos arts sont des langages universels. Notre place dans le Pacifique vient de notre mer d’îles, pour l’écrivain et anthropologue Epeli Hau’ofa.
Est-il facile ou difficile pour eux de se faire connaître ?
Les deux. Chacun a ses difficultés mais si nous travaillons ensemble et restons concentrés sur les objectifs et les résultats, nous pourrons alors contribuer énormément au développement des arts de la communauté et grâce a ce lien, construire un avenir meilleur.
Quelle est plus particulierement la place des femmes artistes océaniennes ?
Ce sont les enseignantes de la culture traditionnelle bien sur. Elles sont aussi les gardiennes et les maîtres des savoir-faire culturels comme les parents d’enfants d’une famille élargie. Ce sont aussi des artistes professionnelles autochtones.
Comment est née cette idée de faire une exposition sur les femmes peintres d’Océanie ?
C’est Tokai Devatine, enseignant au Centre des Métiers d’Art, qui m’a parlé de cette idée. Nous nous sommes rencontrés a l’université de Waikato en Nouvelle-Zélande lors du festival Putahi. Il m’a demandé si je connaissais des femmes peintres kanak. J’ai tout de suite pensé à quatre personnes, des artistes qui font parties de ma vie. Je me sens vraiment privilégiée de pouvoir travailler avec ces artistes brillantes de Nouvelle-Calédonie. Ensemble, ces femmes rassemblent plus de 150 ans d’expertises sur les questions communautaires, tribales, agricoles, la navigation, en passant par les conversations de la vie quotidienne et l’activité des kanak et de la société kanak en général. Chaque artiste a la responsabilité d’enseigner et de transmettre
au peuple kanak un point de vue de la société kanak contemporaine, selon sa propre expérience et son expertise.
Trois artistes kanak vont venir a Tahiti : Micheline Néporon, Denise Tiavouane et Paula Boi Gony . Qui sont-elles ?
Ces trois femmes contribuent au futur et au bien-etre des arts visuels contemporains de la Nouvelle-Calédonie. Paula Boi Gony critique avec une perspective culturelle profonde des sujets de société, le développement de la musique et de l’art kanak. Micheline Neporon se concentre sur le sujet de la terre. La culture de l’igname, la peche, la vie de famille. Sa spécialité est de travailler avec le bambou et de faire des installations de sculptures. Denise Tiavouane met l’accent sur la sphère kanak et le monde de la musique, de la danse et
du mouvement. La reproduction du mouvement apparaît sous forme de spirale d’énergie, tournée vers l’extérieur. Ce sont les oiseaux, la terre, le peuple, les esprits,
symbolisant la force de la vie. Yvette Bouquet ne fera pas partie de l’événement mais doit etre aussi reconnue pour son travail. C’est la reine des pétroglyphes et de la société Lapita dans ses peintures et son design. C’est un phénomène. Beaucoup de ses peintures sont
une bibliothèque visuelle de la vie quotidienne des jeunes, des questions sociales
et de genre, du sport kanak, de l’agriculture et de l’histoire des voyages du peuple mélanésien dans le Pacifique. Ces femmes kanak forment un groupe d’artistes qui nous aide a réfléchir a notre identité et offre des solutions aux problèmes rencontrés dans la société actuelle. Leurs peintures sont souvent sélectionnées par des intellectuels, des universitaires, des écrivains, qui les utilisent comme couvertures de livres qui traitent de la Nouvelle-Calédonie et de son histoire. Elles font parties intégrantes du développement de notre communauté et contribuent a la fois a la société contemporaine et a la société traditionnelle. Elles donnent des indications sur les directions a prendre pour le développement des arts visuels en Nouvelle-Calédonie.
Vont-elles préparer des œuvres spécifiques pour cet événement ?
Oui, mais c’est une surprise.
Qu’attendent-elles de ce voyage ?
Nous vivons dans de petites communautés, nous avons besoin de mieux comprendre l’autre et de nous soutenir mutuellement dans le développement de notre région, de notre art traditionnel et contemporain. Nous devons aussi travailler a un projet régional durable avec une vision sur le long terme.
Comment expliquez-vous que les artistes peintres, notamment les femmes, soient si peu nombreuses en Océanie ?
Cela vient du mode de vie, de la culture, de l’éducation et du soutien. Nous devons
travailler pour mieux comprendre ces problèmes et former un réseau de soutien avec nos groupes communautaires, nos associations, nos organisations. Nous devons aussi être réalistes dans notre approche de chaque communauté parce que nous ne travaillons pas au même niveau dans nos sociétés, ce qui est un autre aspect des choses.
Pensez-vous que cette exposition va encourager des vocations, pousser d’autres femmes a prendre le pinceau ?
L’objectif initial était de travailler avec d’autres femmes du Pacifique, en réseau.
Ce qui serait déjà un exploit. Créer un environnement fort pour valoriser les femmes et la culture, reliant les sujets et les problèmes qui sont universels. Ce genre de rassemblement est, pour nous peuple de l’océan et des îles, très important pour l’avenir de nos cultures en constante évolution et l’expression de notre identité : qui sommes-nous aujourd’hui dans les îles du Pacifique ? Ce genre d’événement peut aider les gens à réfléchir sur notre société et sur qui ils sont réellement.
Le Siapo : « Aimer l’art, c’est aimer la vie »
L’association a pour objectif d’être la voix des artistes et de leurs convictions, d’encourager les projets a caractère communautaire, de permettre aux artistes de développer des méthodes et des outils pour développer leur art, de trouver des solutions pour améliorer les conditions de travail, de privilégier la formation et l’information des artistes océaniens, d’ériger des ponts entre les artistes océaniens au niveau régional et international. Les artistes réunis au sein du Siapo s’expriment sur la place et le rôle de l’art océanien dans le quotidien de nos sociétés et ses problèmes. Ils réfléchissent également aux défis rencontrés par les îles face aux grandes multinationales. Quelles sont les alternatives, comment prendre la parole et être entendus ? Le Siapo est un lieu de réflexion, un laboratoire d’idées et aussi un lieu de partage et de transmission du savoir. L’association contribue au développement des arts en Nouvelle Calédonie et a pour objectif de générer des sources de revenus pour les artistes.
Exposition « Femmes peintres d’Océanie » :
Pratique
- Du 10 au 14 octobre
- Au Centre des Métiers d’Art
- Atelier de peinture avec les élèves du CMA du lundi au jeudi de 12h30 à 16h
- Table ronde autour de la pratique picturale et le statut de femme peintre en Océanie le lundi 10 octobre à partir de 16h30
- Présentation de travaux et discussion avec les artistes invitées du mardi au jeudi a partir de 16h30
- Vernissage de l’exposition le vendredi 14 octobre a 18h30
- Entrée libre
+ d’infos : www.cma.pf