N°108 – L’artisanat, une affaire de famille
Service de l’Artisanat Traditionnel – Pu ‘ohipa rima’i
Rencontre avec Mama Chongaud, artisane.
Texte et photos : DB.
Chez Mama Chongaud, l’artisanat se vit au quotidien et se transmet. À Taha’a, après avoir été couturière, Vana’a Chongaud s’est lancée dans la confection de colliers de coquillages et de couronnes de têtes en fibres végétales. Sa petite-fille, Arlette, a pris le pli et réalise désormais ses propres bijoux. Ensemble, elles vont vendre leurs réalisations sur le motu de leur île où s’arrête le Paul Gauguin ainsi que dans les salons de Tahiti.
Vana’a Chongaud, aujourd’hui Mama Chongaud, a le regard d’abord inquiet, puis interrogateur puis finalement confiant. Son sourire blanc comme neige tranche sur sa peau, dorée par le soleil de Taha’a. Quelques mèches poivre et sel s’échappent d’une couronne de sa confection. Derrière une apparence timide se cache une femme curieuse et heureuse. Elle porte sur sa vie un regard comblé. L’une de ses petites-filles s’affaire à la réalisation de bijoux, elle n’attend plus qu’une chose, que sa descendance reprenne son activité-passion, la couture. Après quelques minutes d’échange, le mur derrière lequel Mama Chongaud s’était réfugiée lors des présentations tombe.
Elle a 76 ans aujourd’hui. Elle est de ces mama avec lesquelles il faut compter. Mais elle n’a pas toujours versé dans l’artisanat. « À l’âge de 20 ans je suivais ma maman dans la brousse, dans les vallées. Je coupais les cocos, je les ramassais, je les portais et j’étais dans le fa’a’apu. À la maison je faisais les repas, je repassais, je nettoyais. J’avais cinq sœurs et deux frères, on était beaucoup. C’était dur, mais je ne regrette pas. Ma mère m’a traîné là-bas mais elle m’a donné le goût du travail », glisse-t-elle.
Puis la vie a apporté son lot de surprises. Elle a dû s’occuper de sa grand-mère adoptive, affaiblie. Elle avait aussi deux sœurs de lait. À ses journées déjà surchargées, elle a ajouté quelques heures de couture. « Je faisais les robes de mariée. Je faisais les coiffures aussi. J’ai tout appris toute seule. »
Vana’a Chongaud, mariée, trois enfants, a ainsi géré pendant des années le quotidien, les enfants, la maison, elle entretenait un fa’a’apu, s’occupait du coprah, de la vanille, tout en poursuivant son activité de couturière. Tout cela l’occupait les jours et une partie des nuits. Pour rien au monde elle n’aurait arrêté la couture qui lui permettait d’exprimer sa créativité et lui rapportait un peu d’argent.
Ainsi, les années ont filé. Vana’a Chongaud et son mari ont coulé des jours heureux dans leur fare entourés de leurs enfants, puis plus tard de leurs petits-enfants et de leurs arrière-petits-enfants. À la mort de son mari en 2001, Vana’a Chongaud a cessé la couture. « Je voyais moins bien et puis je n’avais plus la patience. » De toutes ces années, elle garde le souvenir heureux d’une pratique qu’elle a fait évoluer avec de nouveaux tissus et de nouveaux modèles. Elle garde aussi des douleurs dans le dos qui lui rappellent toutes ces années d’effort.
Pour autant, pas question de rester sans rien faire. Après la confection de robes, c’est la réalisation de bijoux et de couronnes qui occupe ses journées. Elle vit toujours à Taha’a, dans le fare construit avec son mari. Elle achète une partie des coquillages, récolte l’autre, achète par ailleurs les fibres végétales et la nacre sur son île ainsi qu’à Tahiti lorsqu’elle y est de passage.
Tout autour d’elle se sont installés ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Parmi eux, Arlette, l’une de ses petites-filles, s’est intéressée de près à l’artisanat. « Elle est venue me voir et m’a dit : ‘Je veux apprendre’. Je lui ai répondu : ‘Si tu veux apprendre il faut écouter, même quand je dis c’est pas bien. Si tu veux vraiment faire ça, écoute mémé. »
Arlette Chongaud a écouté. Elle a aussi beaucoup regardé. Elle fabrique désormais ses propres pièces qui, selon sa grand-mère « sont plus jolies que ce que je fais. C’est normal, elle est jeune ». Aujourd’hui, le rêve de Mama Chongaud est de transmettre son métier de couturière. « J’aimerais que quelqu’un de la famille reprenne le flambeau. C’est un beau métier, créatif et qui permet de gagner sa vie. »
Arlette, la petite-fille devenue bijoutière
Ses doigts agiles tissent, nouent, attachent des fibres. Elle sait les gestes d’hier. Arlette est à l’œuvre, elle participe à un concours de couronnes de tête. Car, si sa spécialité reste la création de bijoux, elle connaît aussi la fabrication de couronnes et chapeaux. Tout en donnant vie à une nouvelle œuvre de son cru, elle raconte : « J’ai toujours vu ma grand-mère faire des robes, des couronnes, des bijoux ». J’ai entendu ses conseils, mais j’ai surtout pu la voir travailler. J’ai beaucoup appris auprès d’elle. Maintenant nous faisons chacune nos bijoux. Nous allons ensuite les vendre sur un motu à Taha’a où s’arrête le Gauguin. Ce sont les touristes qui achètent. Ils aiment les colliers et couronnes en fibres. »