N°107 – S’évader par les mots

 

DSC_0814Maison de la Culture – Te Fare Tauhiti Nui

Rencontre avec Yvan Colin, directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Texte : LR.

 

Le service pénitentiaire d’insertion et de probation travaille en partenariat avec la Maison de la Culture pour faire entrer la lecture, les arts, le cinéma, l’écriture, les histoires à la prison de Nuutania. Un travail qui participe à la réinsertion des détenus et leur permet aussi de s’évader.

 

Une dizaine de détenus sont déjà installés à leurs petites tables qui font face au tableau encore tout blanc. La pièce est sobre, seul un tableau d’un taina aux couleurs blanches égaye le mur. Ils attendent Léonore Caneri. La conteuse travaille aussi pour le service pénitentiaire d’insertion et de probation comme animatrice d’un atelier conte et d’un autre de slam. Ce matin, c’est slam. On entend les clefs dans les portes, Léonore arrive, salue les détenus et commence, après des sourires et des bonjours joyeux. Elle inscrit les mots sur le tableau à partir desquels ils devront écrire leur texte : dieux, cieux, yeux, lieu, milieu, vieux, pieu, grincheux… « Si vous avez encore d’autres mots, vous pouvez me les donner ! » Des propositions fusent. « Hé pas trop vite ! » Une fois le tableau rempli, elle donne ses consignes : pour ce deuxième cours, les participants vont devoir rythmer leur texte. « Quand vous faites vos phrases, il faut le même nombre de syllabes. Le slam, c’est ça : le son et le rythme. » Chacun se penche alors sur sa feuille et commence à gratter du papier, à essayer des rimes, parfois malheureuses mais parfois surprenantes. « Nous sommes partis de la légende de Teriihaumatatini et avons listé des mots avec la même sonorité », explique Léonore Caneri qui regarde ses étudiants avec attention. Et elle adore ce public. « C’est génial. Je suis étonnée des résultats que j’obtiens. Ils ont une compréhension directe. Les slams qu’ils ont sortis la semaine dernière étaient… puissants. Comme une expulsion. Ils cherchent peut-être une évasion grâce aux mots. » Un détenu lui fait signe. Elle met ses lunettes, s’approche et prend sa feuille. « Il y a un truc que je comprends pas. Tu t’es amusé avec les mots mais il faut qu’il y ait du sens. » Hochement de tête, il s’y remet. Un autre l’appelle. Après lecture, elle lui redonne son cahier. « Tu essayes de me refaire ça ? Avec le rythme cette fois. » Il reprend son stylo et compte chaque phrases pour avoir le même nombre de syllabes. « Je leur fais faire des maths en fait ! » rigole la conteuse.

 

S’ouvrir à la culture

 

S’il y a toujours eu des contacts avec la Maison de la Culture, le partenariat entre le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et l’établissement est en train de se renforcer. « On ne leur propose pas des activités pour seulement faire passer le temps, il s’agit de contribuer à leur faire sortir des choses d’eux-mêmes, explique Yvan Colin qui dirige le SPIP. On est dans la stimulation permanente pour qu’ils soient acteurs de leur détention. » Un atelier musique, un autre arts plastiques, des projections Cinematamua sont également organisées pour que les jeunes voient le « Tahiti de leurs parents ». Une bibliothèque a aussi été aménagée où des livres polynésiens sont proposés. « Nous voulons les amener à s’intéresser à leur pays pour qu’ils réfléchissent à qui ils sont. Beaucoup de jeunes arrivent ici, tiraillés, sans repères. Nous essayons de monter des projets en adéquation avec la vie qui sera la leur à leur sortie, qu’ils retrouvent une place dans leur pays. La prison doit être ouverte sur l’extérieur, il ne faut pas les couper du monde », précise Yvan Colin. Un jeune homme est d’ailleurs en train de feuilleter un dictionnaire, s’arrêtant au hasard des pages. Deux autres font une partie d’échecs. Pour donner envie, il faut évidemment penser à un agencement des lieux, des livres. Comment choisir les livres mis à disposition ? Comment les disposer ? Mylène Raveino, responsable des activités permanentes et des bibliothèques de la Maison de la Culture est alors intervenue pour donner de la lumière à la bibliothèque et essayer de susciter l’envie. Des conseils qui ont été indispensables, pour Yvan Colin. Des piles de Géo, des BD, des romans mais aussi des codes judiciaires sont à disposition. Le SPIP cherche à les garder « en éveil ».

 

Des groupes de paroles sont aussi organisés. Un partenariat avec le FIFO existe. Les groupes Pepena et Takanini sont déjà venus faire des concerts à Nuutania, des auteurs d’ouvrages sur la Polynésie sont également venus parler de leurs livres. Certains détenus sont parfois effacés lors des ateliers mais écoutent. Yvan Colin assure que ces différents événements ou ateliers trouvent toujours un écho. Une exposition des travaux en arts plastiques des détenus avait également été organisée à la Maison de la Culture en 2014. « Notre souci quand on lance une activité est de trouver la bonne personne. Il ne s’agit pas de simplement occuper les gens mais bien de les préparer à leur sortie. Il faut profiter de ce passage en prison pour qu’ils travaillent sur eux-mêmes de différentes façons. »

 

Dans la salle de slam, les participants continuent encore à chercher la meilleure rime ou la plus belle histoire. Les feuilles se noircissent. « Je suis lancé là ! » s’amuse un participant. Mais c’est bientôt l’heure de rendre les copies. Léonore Caneri donne deux nouvelles listes de mots. Difficulté supplémentaire : il va falloir jouer avec deux sonorités différentes. Des mots avec le son « an » et d’autres avec le son « é ». Tout le monde fait des propositions. « Perpétuité », « emmuré »… Léonore écrit et rigole aussi : « Vous avez le sens de l’humour ! » « Libéré » et « délivré » arrivent dans la liste. Le tableau est plein, le cours est fini. Tous ces mots vont être écrits puis la feuille photocopiée et distribuée. Ils devront y réfléchir pour le cours suivant, prévu la semaine prochaine. C’est difficile pour eux de partir. « Dans la cellule on est devant la télé. Là, on apprend », sourit un des participants. « On passe un bon moment. On a besoin de décompresser, de s’amuser, de rigoler. Léonore est quelqu’un d’adorable. On n’a pas envie de retourner en cellule quand le cours est fini », explique un autre. « Quand on arrive en prison, on met son cerveau sur pause pour ne pas devenir fou. Alors ces ateliers permettent de rapprendre des mots, des mots qu’on est en train d’oublier. » Pour d’autres encore, il s’agit d’essayer de bien parler le français. C’est sûr, une fois dans leur cellule, ils vont reprendre ces listes de mots et essayer encore de construire des phrases, de raconter des histoires, de se libérer…

 

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