N°107 – Raconter l’histoire de la Polynésie grâce à la pierre
Service de la Culture et du Patrimoine – Pu no te Ta’ere e no te Faufa’a Tumu
Musée de Tahiti et des Îles – Te Fare Manaha
Rencontre avec Tamara Maric, archéologue au Service de la Culture et du Patrimoine.
Texte : LR.
Deux archéologues, Andrew McAlister, basé à Auckland, et Aymeric Hermann, basé à Tahiti, ont passé deux semaines en juin à étudier les réserves lithiques du Musée de Tahiti et des Îles et du Service de la Culture et du Patrimoine. Objectif : mieux connaître les échanges entre les premiers Polynésiens.
Saviez-vous que les pierres parlent ? Elles racontent des histoires, des traversées incroyables, des échanges, des péripéties. Elles racontent la Polynésie et ses premiers habitants qui taillaient la pierre, en faisaient des penu ou encore des toki, et ses grands navigateurs qui les échangeaient dans tout le Pacifique. C’est ce récit que sont venus chercher et écrire Andrew McAlister et Aymeric Hermann, au mois de juin dernier. Les deux archéologues, respectivement rattachés à l’université d’Auckland pour le premier et au Centre international de recherche archéologique sur la Polynésie (CIRAP) de l’Université de la Polynésie française pour le second, sont venus explorer les collections du Musée de Tahiti et des Îles et du Service de la Culture et du Patrimoine pendant deux semaines. Ils ont plus précisément étudié des outils en pierre comme des herminettes, des pilons ou encore des éclats provenant de ces outils ou des déchets de débitage, trouvés lors de fouilles archéologiques. Il s’agissait tout d’abord de déterminer la provenance de ces pierres. Pour cela, ils ont utilisé une machine spéciale : un « portable x-ray fluorescence » appelé aussi pXRF. Un appareil capable d’analyser les compositions chimiques des roches constituant les
objets grâce a un rayon X. Concrètement, l’outil en pierre est posé sur la machine et celle-ci, grâce au rayon X, mesure l’énergie qui est renvoyée et donne la composition de la roche. Un procédé non seulement rapide mais également non destructeur pour les pièces car il fallait autrefois forer la pierre pour en prélever un bout a analyser en laboratoire. De plus, cet appareil se transporte facilement, permettant de faire les analyses sur place au lieu de faire subir aux objets de longs transports jusqu’à un laboratoire. Ces résultats sont ensuite rapprochés d’autres analyses effectuées sur les différentes carrières de Polynésie d’ou proviennent les pierres. Des sites déjà fouillés et datés dont la composition des roches est connue. Les pierres de Polynésie sont en effet toutes issues de l’activité volcanique et chaque volcan a sa propre signature chimique. Il s’agit ensuite de trouver les similitudes des compositions entre les outils étudiés et les sites pour déterminer la provenance de ces mêmes outils. « Il est possible de tracer les échanges entre les îles et les transports de ces objets dans le temps », explique Aymeric Hermann. Des études précédentes ont déjà démontré que des pierres de l’île de Eiao aux Marquises étaient largement exportées dans différents archipels de la Polynésie jusque vers 1 500 après J-C. Des analyses pétrochimiques des roches, débutées il y a une vingtaine d’années, ont permis de reconnaître des échanges sur de très longues distances entre les peuples polynésiens. Ces échanges ont commencé dès le début du peuplement pour ensuite se raréfier. Apres 1 500, ils s’estompent, les mouvements entre les archipels éloignés sont moins fréquents et certaines routes n’étaient quasiment plus empruntées. Les archéologues donnent différentes explications : les communautés sont bien installées, les échanges sont longs et périlleux et peut-être moins nécessaires. Le phénomène El Nino qui fait son apparition à cette époque a peut-être aussi provoqué des conditions climatiques plus difficiles pour la navigation.
Pour mieux comprendre et retracer ces échanges dans le temps, des missions comme celle d’Andrew McAlister et d’Aymeric Hermann sont nécessaires. Les services ou institutions du Pays ne sont pas équipés de matériels permettant de telles analyses. Lors de ces deux semaines, les archéologues ont étudié des pièces de plusieurs sites : celles des fouilles a Huahine, et d’autres de Maupiti, Tubuai, Tetiaroa, Ua Huka… Les chercheurs espèrent publier les premiers résultats d’ici l’année prochaine et contribuer ainsi a retracer le récit de la Polynésie grâce a l’histoire de ses pierres.