N°106 – Réaménagement du Fare Hape : pour ressentir la culture
Centre des Métiers d’Art – Pu ha’api’ira’a toro’a rima’i
Rencontre avec Yves Doudoute de l’association Haururu et Viri Taimana, directeur du Centre des Métiers d’Art.
Texte : LR.
Le site de Fare Hape situé à Papenoo s’agrandit ! Déjà lieu de rencontre des amoureux de la nature et de la culture, le Fare Hape va devenir un véritable village où des ateliers, des stages, des formations seront pro- posés a n de s’immerger complètement dans la vie polynésienne. Pas du folklore, juste un retour à l’essentiel. Les explications de deux hommes pleinement ancrés dans leur culture : Yves Doudoute, de l’association Haururu et Viri Taimana, directeur du Centre des Métiers d’Art.
Quelle est l’importance de Fare Hape ?
Yves Doudoute : Cela va faire 23 ans que l’association Haururu a pris possession des lieux. A travers des séminaires, des rencontres, des spectacles, des rituels, nous avons participé au renouveau culturel. J’ai travaillé avec Henri Hiro. C’est un petit village qui fait le lien entre la haute et la basse vallée. C’était probablement un lieu assez important, un lieu d’échanges et un lieu de passage. Aujourd’hui, c’est un lieu d’information, de rassemblement, d’échanges culturels et de transmission. Chaque année, 3 000 enfants viennent en classe verte au Fare Hape, sans compter les groupes culturels. C’est un endroit qui permet aux gens de se réunir autour de la culture polynésienne.
Quelle est la signification de ce lieu ?
Yves Doudoute : Pour certains, cela signifie « maison penchée ». Mais juste à côté, il y a Uruhe, c’est la petite chaine de montagnes, qui signifie « tête chenille » et « hape » c’est aussi « chenille ». On l’a découvert lors de nos recherches, les habitants des îles Sous-le-Vent utilisent le mot « hape » pour « chenille ». C’est le village de la chenille et il y a des légendes qui expliquent ce que faisait cette chenille ici.
Fare Hape va être réaménagé, quel est le projet ?
Yves Doudoute : Nous voulons en faire un centre d’immersion culturelle. Les gens viendraient pour s’immerger dans la culture polynésienne. La première chose concerne la langue. Nous sommes en train de perdre notre langue. Certains parlent de la culture mais ne parlent même pas leur langue ! Il faut que les gens fassent l’effort de parler leur langue. Il y aura aussi tout un type d’enseignements proposés. Sur les fondations qu’il reste du village ancien, nous allons construire des maisons, des ateliers. Nous ferons un fare ‘arioi où il y aura tout ce qui concerne l’art, la danse, les instruments et les jeux. Il y aura des stages, des formations. Nous aurons un fare rapa’au, une maison des soins. Il y aura un fa’a’apu. Ce n’est pas une reconstitution. C’est vivre avec notre temps mais en pensant au Tahiti d’autrefois, et réfléchir à leur manière de faire, de vivre.
Quel est l’objectif de ce projet ?
Yves Doudoute : Faire du Fare Hape un lieu vivant, culturel, contraire au folklore. Ce n’est pas compliqué. Faire vivre la culture et la faire ressentir, d’abord à nos enfants.
Renouer avec la terre ?
Yves Doudoute : Renouer avec la terre, revenir à la nature, au fenua.
Viri Taimana : Il y a un déséquilibre. Nos enfants vont à l’école maternelle, on leur parle majoritairement en langue française, et il est en ainsi jusqu’au lycée. Et pour se donner bonne conscience, on organise de temps en temps des « journées polynésiennes ». Voilà la situation dans laquelle nous sommes. Que fait-on ensuite de ces jeunes qui ont perdu leurs repères, qui ne connaissent plus leur histoire ? Il est important qu’il y ait des initiatives pour rééquilibrer les choses. L’idée n’est pas de dénoncer mais de proposer.
Quelle sera la place du Centre des Métiers d’Art dans ce projet ?
Viri Taimana : Nous serons intégrés à l’équipe pour réaménager le lieu. La construction de maisons de type traditionnelle sera intégrée dans la formation des élèves. Nous allons ensuite proposer des activités en immersion, en sculpture, en gravure, ce qu’on sait faire.
Yves Doudoute : Nous sommes encore en train de discuter de l’organisation. Nous savons pourquoi nous le faisons, mais il faut maintenant structurer tout ça et se mettre d’accord sur les objectifs.
Qu’attendez-vous de ce projet du point de vue de l’enseignement aux élèves ?
Viri Taimana : Dans tout développement touristique et culturel imaginé pour la Polynésie, l’axe est orienté vers le divertissement ou vers une compréhension très superficielle de la culture car pensé par des étrangers à la culture polynésienne pour les Polynésiens. Je pense pour ma part qu’il faut faire les choses d’abord pour nous et une fois que l’on sera heureux de vivre chez nous, on pourra accueillir les autres. Le projet d’extension du village sur ce site va nous permettre de nous retrouver ensemble (nos ainés et nos étudiants), d’avoir les mêmes informations dans les différents domaines de la culture, dispensés par les porteurs de patrimoine et nos spécialistes. Ensuite nous pouvons recevoir nos populations et les visiteurs étrangers pour partager ces moments, le développement culturel comme construction humaine, « comprendre son environnement et se comprendre ». Le tourisme culturel tout simplement.
C’est une autre idée du tourisme ?
Yves Doudoute : Nous accueillons déjà des touristes sur ce site et ils repartent émerveillés car ils ont vécu des moments qu’ils ne vivront jamais chez eux. Nous avons l’impression de ne rien faire de spé- cial, ils sont juste avec nous et pourtant… Il y a deux visions des choses. Nous défendons celle où on accueille les gens chez nous. D’autres défendent des projets où les Polynésiens deviennent des marionnettes.
Viri Taimana : Ils viennent dans une maison où il y a une histoire. Si tu entres dans une maison où il n’y a personne, rien ne se passe…
Fare Hape va gagner une nouvelle dimension ?
Yves Doudoute : Nous sommes dans la logique de son développement. Nous devons arriver là. Il y a une demande énorme.
Ce sera un véritable village ?
Yves Doudoute : Un village qui vivra. Nous voulons revenir à l’essentiel. Plu- sieurs artistes seront aussi associés pour qu’il y ait un échange entre nous. Pas seulement une transmission avec les jeunes mais aussi leurs parents ! Les gens viendront vivre avec nous. Il y a une dimension fondamentale que l’on a tendance à oublier dans notre système actuel, c’est le savoir-être. Ce village servira de lieu d’apprentissage du savoir-être. S’organiser en groupe, partager, c’est le fondement de la société polynésienne. Quand on est sur une pirogue, il n’y a pas d’autre échappatoire que la solidarité.