N°98 – « Les idoles brûlées », une gravure historique

Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manahadecoupe page 50 Encyclopedie de PF

Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel – Te piha faufa’a tupuna

 

RENCONTRE AVEC TAMATOA POMMIER POMARE, CHEF DU SERVICE DU PATRIMOINE ARCHIVISTIQUE ET AUDIOVISUEL.

 

 

Texte : SF. Photo : DR.

 

Réalisée par des missionnaires anonymes, la gravure « Les idoles brûlées », datant du début des années 1800, symbolise la conversion au christianisme du peuple polynésien. Récit.

La scène se passe à Moorea, lieu des premières conversions importantes au christianisme en Polynésie. A l’époque, Pomare II avait déjà manifesté son désir de devenir chrétien mais les missionnaires avaient décliné l’offre. Un refus motivé par des raisons politiques mais également par le goût prononcé du roi pour l’alcool. Finalement, début 1815, les premiers personnages importants du territoire demandent le baptême. Ainsi, le grand prêtre du dieu ‘Oro de Papetoai, du nom de Pati’i, se convertit le 18 février de cette année. Pour l’occasion, et afin de prouver la sincérité de sa conversion, il décide de brûler l’image du dieu ‘Oro, effectuant vraisemblablement la première destruction d’idoles par le feu. En agissant ainsi, le grand prêtre aurait ex- primé son « regret de les avoir adorées », selon le récit fait par William Ellis dans son livre « Polynesian Researchs ». La scène est entièrement décrite par le pasteur, avec son regard de missionnaire.

L’un des premiers baptêmes

En février 1815, le missionnaire Henry Nott, l’un des tout premiers de la London Missionnary, séjourne sur l’île de Moorea afin de prêcher les habitants et convertir le chef Eimo, et roi de Huahine, ainsi que son fils Taaroarii. Sur sa route, il rencontre Pati’i, le grand prêtre du marae de Pape- toai, alors district des missionnaires. Les deux hommes discutent, Pati’i annonce ses ambitions. « Pati’i ouvrit son cœur à Mgr Nott et lui annonça que le lendemain à une heure dite, il sortirait les idoles dont il avait la charge et les brûlerait publique- ment », écrit Ellis. Au départ, Henry Nott est méfiant vis-à-vis des propos du prêtre, voyant là une manière de le leurrer sur sa véritable pensée. Mais le missionnaire a tort : dès le lendemain, le grand prêtre fait acte de ses paroles. « Aidé de ses amis, l’après-midi durant, ils avaient ramassé une quantité de bois près de la plage. Fen- du, le bois fut empilé sur un terrain dans la partie occidentale de Papetoai, près du grand marae national, le temple où Pati’i officiait ». Dans le district où la nouvelle s’ébruite de fare en fare, l’ambiance est tendue : les Chrétiens appréhendent les réactions des habitants risquant de se soulever suite à cet « acte d’une impiété inouïe » envers les dieux polynésiens. Les habitants, eux, redoutent la gronde de leurs divinités… Imperturbable, Pati’i continue dans sa lancée et sort les dieux de leur reposoir sacré. Ellis décrit dans le livre ces idoles comme des « petites images sculptées, des imitations rudimentaires de silhouettes humaines, ou des morceaux de bois informes, recouverts de cordelettes finement tressés ou de fibres de coco curieusement tordues et ornées de plumes rouges ».

La fin des idoles

Dans la suite des évènements, le grand prêtre arrache le tissu sacré enveloppant les idoles, leur ôte leurs ornements et les jette dans le feu. Puis, les unes après les autres, il lance les idoles dans les flammes sous le regard hagard des habitants et des Chrétiens. « Il prononçait parfois le nom et l’origine de l’idole et exprimait son regret de l’avoir adorée. Pour d’autres, il en appelait aux spectateurs, leur démontrant l’incapacité des idoles de se protéger. Ain- si furent publiquement détruites les idoles adorées par Pati’i ». Selon William Ellis, par ce geste, le grand prêtre, alors très influent à Moorea, souhaite convaincre la population d’abandonner leurs divinités pour épouser le christianisme. Aucunes représailles divines n’étant survenues, la nouvelle fait rapidement le tour de Moorea puis de Tahiti. « La conduite de Pati’i produisit partout l’effet le plus décisif sur les prêtres et le peuple. Beaucoup de gens à Tahiti et à Eimo furent encouragés par son exemple, et non seulement brûlèrent leurs idoles, mais démolirent leurs marae et leurs temples ; leurs autels furent dépouillés et renversés, et le bois employé à leur construction transformé en combustible et brûlé dans les cuisines indigènes. » Cet acte, comme le souligne Ellis, portera au paganisme un « coup mortel ». Dans les mois et années qui suivirent, le nombre de convertis augmenta considérablement à Moorea puis à Tahiti. Pati’i, le grand prêtre de ‘Oro, deviendra un fer- vent élève des missionnaires et plus tard, un diacre.

De l’original aux reproductions

Cette scène fondamentale dans l’histoire de la société polynésienne a été immortalisée dans cette gravure missionnaire. Cette dernière a été réalisée pour la littérature missionnaire, elle est parue dans le numéro III d’octobre 1818 des « Missionary Sketches », un supplément imprimé à Londres dont le graveur est anonyme. « Les idoles brûlées » a ensuite été repro-duite en 1961 dans « The History of the Ta- hitian Mission 1799-1830 », écrit par John Davies et publié par Colin W. Newbury. La gravure sera également reproduite dans le Carnet 2 de Tenete, qui sera publié dans un dossier à l’occasion du bicentenaire de la bataille de Fei Pi, aux côtés des autres versions réalisées au XXème et même au XXIème siècles. L’artiste contemporain Andreas Dettloff proposera quant à lui une version revisitée de la gravure. Toutes seront visibles dans le Carnet 2 de Tenete, dont la publication est prévue pour le 12 novembre, date du 200ème anniversaire de la bataille de Fei Pi.

Bicentenaire de la Bataille de Fei Pi : Pratique

 

  • Exposition au Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel

A partir du 9 novembre (gravures, extraits de livres et articles)

 

  • Exposition « Des Ecritures à l’écriture »

Du 13 novembre au 27 mars 2016, au Musée de Tahiti et des Îles

 

Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel : Pratique

Ouvert au public du lundi ou vendredi, de 8h00 à 12h00

Accès libre

+ d’infos : 40 41 96 01

 

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