N°97 – Rahui, le cœur du développement durable
Service de la Culture et du Patrimoine – Te pu no te ta’ere e no te faufa’atumu
Rencontre avec Edmée Hopuu, référente INTEGRE pour la zone de Taiarapu au Service de la Culture et du Patrimoine, Caroline Vieux, coordinatrice du projet INTEGRE en Polynésie française, Hurimana Chapman, acteur de la prospection archéologique sur la zone du rahui.
Texte : ASF.
Parce que l’espace terrestre et l’espace maritime sont indissociables dans la gestion des ressources, la population de Taiarapu ouest a choisi, après la mise en place du rahui côté mer, de préserver la zone côté terre en valorisant, entre autres, le patrimoine ethnobotanique et archéologique du site.
Protéger et valoriser les aires marines sans y associer les zones côtières n’a pas de sens. A Teahupoo, on a depuis longtemps bien compris cette nécessité. Après le rahui côté mer sur plus de 750 hectares, véritable réservoir naturel de biodiversité marine, zone de reproduction de quelques espèces dont certaines constituent la principale ressource de la population, voici le rahui côté terre. Un projet assez ancien, souhaité par les pêcheurs et les agriculteurs et porté par le maire délégué de la commune, Gérard Parker, soucieux de gérer les ressources de ce territoire dans le respect de l’environnement, mais également des attentes des usagers de la mer et de la terre (pêcheurs, agriculteurs, professionnels du tourisme,etc.).Un projet qui s’inscrit dans le développement durable du fenua ‘aihere, soutenu par le programme européen INTEGRE* et le Service de la Culture et du Patrimoine. La zone de Maraetiria à Faaroa fait ainsi l’objet, depuis 2014, d’une prospection archéologique et ethnobotanique avec les équipes de l’archéologue Paul Niva. Cela concerne un espace de 2000 hectares encore aujourd’hui habité par des pêcheurs et des agriculteurs -ceux-là même qui surveillent le rahui – et qui porte les traces d’un ancien village. Sur place, paepae, marae, murs d’1,50 m à 2m de long se côtoient. Ces derniers seraient vraisemblablement là pour délimiter d’anciennes parcelles. Plus de 80 sites archéologiques sont ainsi répertoriés pour plus de 190 structures. Cet inventaire permet de mieux comprendre le mode de vie des anciens, leur occupation de l’espace, mais aussi le développement économique, les aspects culturels et religieux d’antan. Et ce, même si « nous avions déjà des données de la tradition orale qui avait été recueillies dans les années 80 auprès de l’ancien tavana de Teahupoo, qui a lui-même vécu sur ce territoire », explique Edmée Hopuu, référente INTEGRE pour la zone de Taiarapu au Service de la Culture et du Patrimoine. L’opération prévoit également de « recenser et cartographier les savoirs locaux en matière de biodiversité en se basant sur le nom (vernaculaire, scientifique), l’usage (alimentaire, curatif, rituel etc.) et en associant ces savoirs dans la relation des populations à leur environnement. »
*Initiative des Territoires pour la Gestion Régionale de l’Environnement (INTEGRE) dans les Pays et Territoire d’Outre-mer du Pacifique.
Identifier les ressources et les gérer
L’action ne s’arrête pas à la prospection archéologique et ethnobotanique : une fois l’ensemble des données répertorié, l’idée est bien évidemment de préserver ce site, mais aussi de le valoriser et de proposer aux jeunes générations des outils de développement, notamment touristiques. «Le constat c’est qu’aujourd’hui les jeunes de la commune n’ont pas de travail. Il faut préparer l’avenir de cette jeunesse en mettant en place des projets de conservation et de développement durable », rappelle Edmée Hopuu. Pour cela, il faut identifier les ressources et les gérer, mais aussi transmettre un savoir aux nouvelles générations. Il est donc prévu de sensibiliser les plus jeunes, dès l’école, à travers des actions et la création de supports, mais également de former quelques jeunes adultes aux travaux de sensibilisation, d’identification, de protection, de valorisation et de diffusion de ces savoirs.
INTEGRE, un projet participatif
INTEGRE est un projet de développement durable commun aux quatre Pays et Territoire d’Outre-mer (PTOM) européens du Pacifique, financé par l’Union européenne à hauteur d’1 milliard de Fcfp à travers le 10ème FED (Fond Européen de Développement) pour la période 2013-2017. Mis en œuvre par la CPS (Secrétariat de la Communauté du Pacifique) et piloté par la Polynésie française, il vise à promouvoir la gestion intégrée des zones côtières et à renforcer la coopération régionale dans le domaine du développement durable. Neuf sites pilotes ont été retenus en tant qu’unités cohérentes de gestion et parce qu’ils présentent des enjeux écologiques forts, une utilisation par les populations locales et une vocation à démonstration d’actions gouvernementales. Ces sites sont situés en Nouvelle-Calédonie, à Pitcairn, à Wallis et Futuna et bien sûr en Polynésie française (la baie d’Opunohu à Moorea, la presqu’île de Tahiti, Raiatea et Taha’a côté terre et lagon). En Polynésie française, pour les sites retenus, une enveloppe de 250 millions de Fcfp a été mise à disposition. Pour Caroline Vieux, coordinatrice du projet en Polynésie française, l’originalité et la force d’INTEGRE est d’amener les populations à être à l’initiative des projets. En cela, le projet s’inscrit dans une démarche participative avec les acteurs locaux.
A la Presqu’île, le projet INTEGRE accompagne le développement durable des usages lagonaires en associant à la fois réduction des pressions anthropiques* et développement d’activités économiques durables et innovantes.
« Pour nous, ce n’est pas un projet de protection de l’environnement, mais un projet de développement durable. Il s’agit de concilier la protection des ressources naturelles avec le développement d’une économie nécessaire aux habitants, cela peut notamment passer par des activités touristiques », précise la coordinatrice Caroline Vieux.
*Les pressions anthropiques sont les pressions exercées par l’homme sur un terrain donné et qui ont un impact sur l’environnement.
Hurimana Chapman : « Ce qui est intéressant, c’est de découvrir des histoires familiales »
Originaire de Teahupoo, Hurimana Chapman, 30 ans, a assisté l’archéologue Paul Niva dans la prospection de la zone retenue. Formé au patrimoine culturel et environnemental, il a pu en apprendre plus sur sa commune et l’histoire des anciens.
Hurimana, comment es-tu arrivé dans ce projet ?
Le Service de la Culture et du Patrimoine avait proposé à des jeunes, il y a quelques années, de participer à la restauration du marae marae Ta’ata, à Paea. Nous nous étions retrouvés une quinzaine à suivre une formation avec l’archéologue Paul Niva pour apprendre quelques rudiments et pouvoir prêter main forte aux archéologues dans leur mission de restauration. Après cette mission, on m’a rappelé en 2012 pour restaurer un marae de Moorea. En 2014, on m’a à nouveau contacté, mais cette fois pour un projet au fenua ‘aihere. Je suis originaire de Teahupoo, donc forcément cela m’a immédiatement intéressé, d’autant que lorsque je n’ai pas de mission ponctuelle pour le Service de la Culture, j’entretiens des jardins, j’aide mes parents agriculteurs à la Presqu’île.
As-tu reçu une formation spécifique ?
Oui, j’ai appris à remplir des fiches de renseignement, poser une pancarte, mesurer, définir l’architecture d’une zone, prendre des photos, répertorier, reconstituer quelques marae avec des appareils de géomètre pour déterminer le dénivelé, repérer les structures, les murs, les alignements en pierre, les paepae, etc. Je note toutes ces informations et ensuite je dois rentrer les données dans l’ordinateur. J’avoue que je suis plus à l’aise sur le terrain que devant un ordinateur.
Cette zone se trouve sur ta commune, ton intérêt est donc particulier, non ?
Oui, d’autant que nous avons une maison là-bas, nous y allons de temps en temps pour l’entretenir. Pour moi, ce qui est intéressant c’est de découvrir finalement des histoires familiales. Pourquoi on vivait là, ce qu’on y faisait. Je connaissais quelques histoires, mais là, avec la prospection, je découvre plein de choses sur cette zone. Le puzzle se met bien en place. Quand je croise au village des personnes âgées, elles m’interrogent sur nos recherches, nos découvertes. Elles veulent savoir si cela correspond aux histoires qu’elles ont entendues autrefois, des histoires racontées dans les familles, par les grands-parents. Même si dans les témoignages les détails diffèrent d’une personne à l’autre, même s’il y a une transformation de la parole rapportée, on voit bien qu’il y a une trame commune par rapport à ce que nous constatons sur le terrain.
Justement qu’avez-vous trouvé sur le terrain?
On a répertorié plus de 190 structures. Des marae, des alignements de pierre, des murs de soutènement. Nous supposons qu’il s’agit d’une manière de délimiter des parcelles. C’est tout nouveau pour moi, c’était la première fois que je voyais cela. Il y a à chaque fois trois murs puis un élément naturel qui sert de 4ème mur. Cet élément peut être la montagne, une rivière. Il y a aussi un ahu à trois gradins. Il se compose de différentes pierres et de corail taillé. Les habitants ont amené tous ces matériaux de la mer, du rivage vers le fond de la vallée.
A terme, il pourrait y avoir un développement touristique avec une dimension culturelle?
Je crois que le tavana a un projet dans ce sens pour faire venir les touristes. On pourrait mettre en valeur nos sites archéologiques. Il faut créer des supports sur place ou alors former des guides pour éviter que tout le monde ne raconte l’histoire du fenua ‘aihere à sa sauce !
Encadré
Toponymie : le lien terre-mer
Autrefois, les habitants investissaient les vallées du fenua ‘aihere pour y faire pousser des fe’i. Aujourd’hui, les bananes plantains sont toujours là, recouvertes d’une végétation dense, inaccessibles. A Teahupoo, certains se souviennent encore de ces riches vallées. A Maraetiria et Faaroa, en consultant les titres de propriété, on comptabilise près de 70 vallées à fe’i dont la toponymie est associée à des noms d’animaux (oiseaux, poissons, cétacés, etc.) ou de plantes. Une association toponymique qui trouve ses racines dans la volonté des hommes de ne pas dissocier la mer et la terre. A chaque animal dans les eaux du rahui, par exemple, correspond l’exploitation saisonnière du fe’i de telle ou telle vallée. « Seuls les anciens se souviennent que lorsque c’est la saison des baleines, on pouvait exploiter une vallée plus qu’une autre, juste en connaissant son nom », explique Edmée Hopuu. Aujourd’hui à Teahupoo, une agricultrice voudrait replanter selon ces appellations pour permettre ainsi une meilleure gestion des ressources.
Le(s) rahui
« Le rahui est un interdit, une sous-catégorie du tapu. On retrouve ce terme dans tout le triangle polynésien, mais avec des définitions plus ou moins changeantes. La signification du rahui a évolué, au cours de la longue histoire polynésienne, au moins depuis le Xème siècle en plus de varier d’une île à une autre. Par exemple, aux Tuamotu pendant le XIXème siècle, le rahui est un lieu, on « va » au rahui (ou au secteur), et, comme dans l’archipel de la société, il désigne une prohibition, une restriction temporaire. Autrefois, le rahui régulait l’usage de la mer et de la terre, laissant le temps aux ressources d’abonder avant d’être exploitées par les hommes, n’en retirant que le nécessaire. Ancestral et communautaire, ce mode de gestion des ressources maritimes et terrestres a été progressivement délaissé, car moins en phase avec une société de plus en plus peuplée et davantage portée sur le profit. Le rahui coïncide tout simplement avec la notion actuelle de développement durable ».
(source Hiro’a n°22 – juillet 2009)