N°91 – « Gauguin est un pionnier conceptuel pour les artistes chinois »
Amy Y.Li, directrice de la Amy Li Gallery de Beijing
Du 16 avril au 13 juin, Amy Y.Li, directrice de la Amy Li Gallery de Beijing, organise au Musée de Tahiti et des Iles une exposition inattendue et inspirée : « L’esprit des morts veille », du nom d’une toile du peintre Paul Gauguin. Elle a sélectionné une dizaine d’artistes chinois ayant un lien évident avec ce peintre qui a été pour l’art contemporain chinois un véritable catalyseur.
Des artistes chinois qui rendent hommage à Gauguin dans un musée à Tahiti : c’est un projet original…
Oui, c’est un projet assez original ! En réalité, un grand nombre d’artistes chinois nés dans les années 50-60 ont un sentiment particulier et un très grand respect pour Gauguin, qui est une sorte de pionnier conceptuel pour eux. Son parcours et la façon avec laquelle il a révolutionné l’art en son temps sont de véritables sources d’inspiration pour eux. Il n’a pas été difficile de les convaincre de participer.
Comment est né ce projet d’exposition et quel est son objectif ?
En un sens, je pense sincèrement que cette exposition a pu avoir lieu grâce à une combinaison du hasard et du destin. C’est en rendant visite à un couple d’amis qui habitent à Tahiti que l’idée m’est venue d’y organiser une exposition, pour faire une surprise à ces artistes en les amenant ici afin que leur rêve devienne réalité. Je me suis donc attelée à la tâche et cela s’est produit ! Quelle chance…
Pourquoi ce thème, « L’esprit des morts veille » ?
A cause de Gauguin ! Sans lui, Tahiti serait toujours un endroit paradisiaque que l’on viendrait visiter mais pour des vacances, pas pour une exposition. Cependant, la relation entre cette île et l’artiste a été si importante qu’il est nécessaire d’y ramener l’art, de rappeler aux gens que Tahiti a été un endroit crucial pour l’histoire de l’art. « L’esprit des morts veille » est une toile majeure peinte par Gauguin en 1892 à Tahiti, je pense que le choix du commissaire d’exposition, Lü Peng, d’utiliser le titre de cette toile pour celui de l’exposition est une façon de dire qu’à l’époque où Gauguin était à Tahiti, les esprits de l’ile ont veillé sur lui et c’est désormais l’esprit de Gauguin lui-même qui veille sur l’île et l’arrivée de ces nouveaux artistes chinois.
Sur quels critères avez-vous sélectionné les artistes ? Quel est leur point commun ?
Pour différentes raisons, j’ai dû choisir un nombre restreint d’artistes pour cette exposition. J’ai donc tenté de sélectionner ceux dont l’influence de Gauguin est visible dans leur travail. Gauguin est un artiste qui, au travers de ses œuvres, interrogeait sur l’individu et la société, « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? ». La poursuite de ce thème artistique est également commune aux artistes sélectionnés pour cette exposition.
Le commissaire de l’exposition, Lü Peng, affirme que c’est entre autres grâce à Gauguin que la Chine a eu son art contemporain. Pourquoi ?
Après les guerres et les mouvements politiques du XXème siècle, les artistes chinois ont pu commencer à chercher à comprendre la peinture et l’appel au modernisme des artistes européens comme Gauguin et ceux de sa génération. Leur position de révolte est celle qui a inspiré les artistes chinois dans les années 80, qui ont à leur tour renversé toutes les vieilles normes artistiques et brisé les carcans qui faisaient obstacle au développement de la modernité. C’est de ce mouvement qu’est directement issu l’art contemporain chinois.
Pouvez-vous nous présenter le commissaire de l’exposition, Lü Peng ?
Lü Peng est un des plus éminents historiens de l’art en Chine, auteur de l’« Histoire de l’Art Chinois au XXème siècle ». Il est également critique d’art contemporain, commissaire d’exposition et directeur du Cheng Contemporary Art Museum. Ses essais et commentaires ont été publiés dans d’innombrables magazines, journaux et revues du monde entier, il possède une connaissance de l’art chinois et de l’art en général que peu de gens égalent.
Les toiles de cette exposition seront-elles exposées ailleurs qu’à Tahiti ?
Pour l’instant, nous nous concentrons sur cette exposition qui représente déjà un énorme travail. Nous verrons pour la suite en temps voulu.
Qu’est-ce qui caractérise l’art contemporain chinois selon vous ?
Je pense que nous pouvons remercier notre époque. Comme tout le monde le sait, la Chine est un pays en pleine expansion avec de nombreuses opportunités et de nombreux changements. Cette évolution du pays est ressentie et présente chez nos artistes dont l’inspiration et la créativité sont sans l’ombre d’un doute stimulées par ce dynamisme.
Racontez-nous votre rencontre personnelle avec l’œuvre du peintre Paul Gauguin ?
La première fois que j’ai vu les travaux de Gauguin, c’était dans un livre. Les couleurs du tableau « Quand te maries-tu ? » sur la couverture m’avaient totalement captivée, elles étaient si vraies, si réelles, elles donnaient tant d’information que l’œil se devait d’attraper. C’était une expérience fascinante, alors qu’il ne s’agissait que d’une image sur un livre.
Est-ce la toile qui vous a le plus marquée ?
En fait il y en a deux… « Quand te maries-tu ? » donc mais je dirais également « D’où venons-nous ? Qui sommes nous ? Où allons-nous ? », qui est sans doute l’un de ses plus grands chefs d’œuvres, pour sa beauté, le symbolisme qui y est présent et pour tout le mystère qui en émane.