N° 87 – Ti’i, tiki : des protecteurs à protéger

Service de la culture et du patrimoine – Pu no te taere e no te faufaa tumu

 

Par Joany Hapaitahaa, historienne et Tamara Maric, archéologue au Service de la Culture et du Patrimoine.

 

Le Service de la Culture et du Patrimoine lance cette année un programme de sauvegarde de la statuaire lithique qui subsiste dans les archipels polynésiens. Après plusieurs années d’attente faute de financements, cette action se met enfin en place afin d’assurer à ces trésors culturels une protection digne de ce nom.

 

Tout commence en 2006, lorsque le Musée de Tahiti et des îles réalise un diagnostic de l’état de conservation des ti’i de Raivavae (Archipel des Australes), donnés au pays par la Société des Etudes Océaniennes. Il s’agissait de savoir s’il était possible de déplacer à terme ces statues afin de leur faire retrouver leur île d’origine, à la demande des associations. Jean-Didier Mertz et Geneviève Orial, spécialistes du Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (LRMH), ont fait en 2006 le diagnostic de ces ti’i, ainsi que ceux du site de Iipona (Puamau, île de Hiva Oa). Ils ont mis en évidence leur très grande fragilité, et préconisé des actions afin de mieux les préserver. La première mesure d’urgence est d’abriter les tiki pour les protéger des intempéries (soleil, pluie, ruissellement des eaux, vent, embruns…).

 

Un patrimoine difficile à quantifier et à contrôler

 

La base de données informatisée du Service de la Culture et du Patrimoine, établie par la cellule archéologie et histoire depuis 2001, recense pour l’heure 131 sites sur lesquels se trouvent des ti’i, des tiki ou toute autre forme de statuaire en pierre. La majorité est située aux îles du Vent et aux îles Marquises, car ces 2 archipels ont bénéficié de programmes d’inventaires spécifiques dans les années 1980 et 1990. Mais parce qu’un inventaire est toujours provisoire et qu’il se complète au gré des découvertes, nous ne pouvons pas considérer que ce chiffre reflète la réalité. Ensuite, il faut savoir que de nombreux objets d’arts polynésiens ont quitté leur terre d’origine dès le 19e siècle : achats, donations à des explorateurs occidentaux, vols… Certains de ces objets sacrés ont rejoint des musées à l’étranger, ou des collections privées. Par ailleurs, il existe hélas encore aujourd’hui du pillage d’objets anciens destinés à être revendus sur le marché de l’art. Des trafics strictement interdits qui sont malheureusement difficile à contrôler. Mais ces dernières années, la collaboration entre les institutions culturelles, la direction des douanes et les services de l’ICOM* permet une meilleure surveillance. Ainsi, en 2012, une tête de tiki volée à Hiva Oa a pu être fichée à INTERPOL.

 

Les phénomènes de dégradations naturelles et d’origine humaine

 

La plupart de ces tiki monumentaux ont été sculptés dans une roche friable, appelée « tuf volcanique », qui subit des altérations naturelles : le ruissellement des eaux qui entraîne des fissures internes, la pousse de mousses, lichens et algues sur la surface entraînent l’érosion des surfaces… Ajoutons à cela les actions des hommes, qui, bien qu’animés de bonnes intentions, contribuent parfois aussi à les abîmer : brosser les statues pour enlever les végétaux est catastrophique et laisse des traces irrémédiables sur la surface friable.

La première action est donc de leur offrir un abri afin de stopper ce processus, avant d’entreprendre des mesures conservatoires. Ces dernières doivent être réalisées par des spécialistes en conservation-restauration. En accord avec la famille propriétaire, des abris de type marquisien seront construits sur le site de Lipona afin de protéger les tiki monumentaux s’y trouvant, dont le plus connu est Takaii. Cette action devrait se concrétiser en cours d’année 2015. Par la suite, les experts du LRMH seront encore sollicités pour un nouveau diagnostic afin de mettre en place un protocole de traitement adéquat de ce patrimoine en péril. Après 2 à 3 ans sous la protection des abris, et en fonction de leur état de conservation, un traitement sera envisagé. Les tiki de Raivavae situés au musée Gauguin de Papeari sont déjà sous abri et bénéficieront également de l’expertise du LMRH avant tout traitement de consolidation.

 

 

En cas de découverte de statuaire, la réglementation impose de prévenir le Service de la Culture et du Patrimoine. En attendant, voici un rappel des gestes à éviter pour ne pas dégrader ces statues :

 

–       Ne pas tenter de nettoyer le ti’i à l’eau ou avec quelque produit que ce soit ;

–       Ne pas enlever ni gratter les végétaux (mousses) poussant sur la statue : même lorsqu’on les enlève doucement à la main, leurs petites racines emportent des morceaux de pierre ;

–       Ne pas gratter la pierre avec un objet, cela laissera des traces indélébiles pouvant altérer des anciennes gravures. On ne les voit pas forcément à l’œil nu, mais elles existent parfois encore.

–       Ne pas dessiner sur la statue (craie, feutres, aérosols…) ;

–       Ne pas déplacer la statue, sauf en cas de danger immédiat (possibilité de destruction ou de vol), et après avoir consulté le Service de la Culture et du Patrimoine ;

–       Sachez qu’un tiki est considéré dans la réglementation comme un « bien immeuble » et non comme un simple objet. Il appartient au propriétaire du terrain sur lequel il est situé.  Enlever un tiki de sa terre peut donc être considéré comme un vol et puni par la loi. 

 

Qu’est-ce qu’un ti’i/tiki ?

 

Le ti’i ou tiki est une représentation de forme humaine sculptée dans de la pierre basaltique, du corail ou du bois. Ces statues étaient implantées sur des lieux religieux (marae ou me’ae), elles étaient donc tapu, sacrées. Elles représentaient généralement un ancêtre prestigieux d’une lignée. Aussi, ces sculptures ont leurs propres noms, recueillis dans les traditions orales au début du 20e siècle. D’autres sculptures servaient de support à des entités spirituelles (esprit gardien, taura ou dieu) invoquées durant des cérémonies religieuses. On pense que c’est le cas pour de nombreux ti’i des îles de la Société.

Chaque aire culturelle polynésienne avait son style artistique propre, à partir d’un fonds culturel commun. Les îles Marquises et l’île de Raivavae ont la particularité d’avoir développé une statuaire monumentale. Le plus grand tiki de la zone de Polynésie française est celui du me’ae Iipona à Puamau – Hiva Oa, dénommé Takaii, il mesure près de 2 m 60.

 

 

Les ti’i et  tiki en chiffres 

–       63 pour les îles du Vent

–       4 pour les îles sous le Vent

–       58 pour l’archipel des Marquises

–       1 pour l’archipel des Tuamotu

–       1 pour l’archipel des Gambier

–       4 pour l’archipel des Australes (auxquels s’ajoutent les 2 tiki qui sont dans les jardins du musée Gauguin de Papeari)

 

 

*ICOM : International Concil of Museum (Organisation Internationale des Musées et des Professionnels de Musée)

http://www.icom-musees.fr/index.php/page/index/url_page/Lutte-contre-le-trafic-illicite-des-biens-culturels/sf_highlight/commerce+illicite

 

 

 

-1. A gauche, le moulage du tiki de Takaii (Puamau, Hiva Oa), réalisé dans les années 1960 et conservé au Kon Tiki Museum de Oslo. A droite, le tiki dans sont état actuel (cl. Kon Tiki Museum et Eric Olivier).

 

Mettre côte à côte les photos 2 et 3 :

2. La tête Maniuoata, prélevée sur le site de Lipona au 19e siècle et conservée au musée de Berlin.

3. La tête Tiu O’o sur le site de Lipona, similaire à celle de Maniuoata et restée en plein air. On remarque l’érosion des surfaces et les mousses.

 

Mettre côte à côte les photos 4et 5 :

 

4. 2 photos au choix selon crédits possibles

4(1) L’un des 3 ti’i de Raivavae conservés au Musée Gauguin en 1933 (cl. Pierre Verger)

Ou :

4(2) L’un des 3 ti’i de Raivavae, alors situé à Papeete avant son déplacement à Papeari en 1936 (cl. Edgar Aubert de la Rüe).

 

5. Le même ti’i aujourd’hui, érodé par des années de ruissellement, et brisé aux jambes durant son transport dans les années 1960. Il est couvert depuis 2009.

 

Vous aimerez aussi...