N° 86 – Le jury du Hura Tapairu
Rédaction : VH.
« Le jury sera exigeant, parce que notre danse a besoin d’exigence »
Cette année, le jury du 10ème Hura Tapairu sera composé de Vanina Ehu, présidente du jury, Matani Kainuku, Moana’ura Tehei’ura, Fabien Dinard, Kehaulani Chanquy et Vaheana Robson. Ils nous confient ici leur vision de ce concours, son évolution, leurs exigences et leurs espoirs.
Vanina et Matani, vous faites partie du jury depuis la création du concours en 2004. Avez-vous une impression de déjà-vu au fil des ans ?
Vanina Ehu : Chaque année, c’est toujours avec plaisir que j’apprécie le travail que déploie chaque groupe avec ses inspirations et ses moyens. Chaque chorégraphe apporte le meilleur de lui-même au travers de sa danse grâce aux danseurs, danseuses, musiciens et choristes. Ce n’est donc jamais la même chose.
Matani Kainuku : Faire partie du jury depuis la création du concours est d’abord un honneur. Il est vrai que c’est un concours qui a démarré avec 8 formations en 2004, et qui aujourd’hui compte pas moins de 25 formations minimum. C’est extraordinaire, les spectacles sont de plus en plus beaux, jamais les mêmes. J’apprécie l’innovation et la création artistique des artistes : chorégraphes, danseurs, musiciens, chœurs, compositeurs et les autres métiers au service de la danse comme les coiffeurs et maquilleurs… Les spectacles sont merveilleux et apportent chaque année leur lot de surprises.
Le jury est-il plus exigeant au fil des ans ?
Moana’ura Tehei’ura : Pour avoir vu l’évolution du Hura Tapairu, nous pouvons remarquer que les groupes en compétition sont de plus en plus exigeants envers eux-mêmes. Par conséquent, cette exigence nous est imposée et nous demande un travail encore plus précis lors des notations. Par ailleurs, cela nous oblige à opérer des changements dans les fiches de notation et dans le règlement général afin de rester en adéquation avec l’évolution des groupes.
Fabien Dinard : Le jury recherche, chaque année, la justesse dans l’appréciation des prestations. Nous nous devons d’être objectifs, bien évidemment, en appliquant avec rigueur tous les critères auxquels les groupes sont soumis. Dans un certain sens, le jury doit être à la hauteur de la confiance que les groupes placent en lui. Le jury sera exigeant, parce que notre danse a besoin d’exigence, de rigueur. Il en va de la réputation de cette compétition, qui est très attendue par le monde de la danse car elle est devenue un grand rendez-vous du calendrier artistique polynésien. Mais il n’y a pas que la rigueur. Il y a la création, l’ingéniosité, le thème, la virtuosité. Sans un peu de folie, nous perdrions la beauté de la danse, qui est essentielle à mes yeux.
Matani Kainuku : Les critères de notation ont évolué au fil du temps à la demande des groupes, à la suite des différents concours, pour répondre aux besoins artistiques et chorégraphiques, mais aussi pour répondre aux exigences du jury. La mise en place de temps de synthèse intermédiaires permet d’apporter des idées constructives au projet et de proposer des améliorations au règlement du concours. Les derniers aménagements se sont faits cette année et nous l’expliciterons aux chefs de groupe.
Ce sera ta première expérience au sein de ce jury, mais en tant que danseuse, que représente pour toi le Hura Tapairu ?
Vaheana Robson : Le Hura Tapairu est, pour moi, un concours de danse qui a su faire sa place dans le monde culturel, c’est aujourd’hui un événement incontournable attendu de tous les danseurs ! Il offre aussi aux chorégraphes en herbe l’opportunité de se faire connaître du grand public. J’y ai moi-même évolué en tant danseuse au sein d’une formation, et en 2012 j’ai présenté mon école de danse en catégorie mehura, en tant que chorégraphe responsable de la formation. Je dois dire que l’enjeu est de taille à tous les niveaux !
Tu vas être jury pour la 2e fois et ton groupe Hitireva y a déjà participé à plusieurs reprises. En tant que chef de groupe, que dirais-tu que le Hura Tapairu apporte au ‘ori tahiti ?
Kehaulani Chanquy : Le Hura Tapairu est l’opportunité pour de jeunes talents de s’exprimer, de s’intégrer à travers la danse, le chant, la musique, l’art oratoire… Pour certains, c’est de garder encore cette vie de groupe qui continue après le Heiva, pour d’autres c’est celui d’une préparation à un Heiva à venir. Donc c’est un concours de ‘ori tahiti qui arrive au bon moment ! Pour Hitireva, le Hura Tapairu a été un véritable tremplin.
Qu’attendez-vous de cette expérience de jury ?
Vaheana Robson : Être, cette année, membre du jury du Hura Tapairu sera de toute évidence une expérience de plus dans ma « carrière » de danseuse. C’est même une grande fierté que de pouvoir accéder à ce rang d’artiste reconnu. Cette expérience permet également de mettre en situation d’examinateur le chorégraphe que l’on est soi-même, c’est très enrichissant et très formateur.
Kehaulani Chanquy : Être juge est une bonne expérience pour tout chef de groupe, chorégraphe et danseur. Nous sommes les descendants, les héritiers de ce patrimoine ma’ohi, mais il est toujours difficile de juger et de comparer plusieurs mois d’investissement. Cette expérience me permet de rester sur un chemin où folklore et coutume ont la même servitude, car chaque groupe présente un thème et porte sa prestation sur ce support. Elle me permettra aussi d’avoir un autre regard sur cette préparation plus privée des groupes et pouvoir m’améliorer.
En tant que chorégraphe, y a-t-il quelque chose qui t’interpelle dans ce qui est présenté chaque année ?
Moana’ura Tehei’ura : Ce qui demeure rassurant dans la démarche de chacun est que l’évolution montre un intérêt grandissant vers des thématiques authentiques tout en mettant en avant un mouvement dansé novateur et une composition musicale originale. En somme, le Hura Tapairu devient l’expression de jeunes artistes qui respectent les valeurs fondamentales de notre culture.
En tant que professeur de ‘ori tahiti au Conservatoire, dirais-tu que les groupes – que les danseurs aient été formés par toi ou non – font honneur à la danse ?
Vanina Ehu : Ma plus grande fierté est de voir les danseurs et danseuses qui sont passés par le Conservatoire entre les mains de mamie Louise et de moi-même, évoluer dans le groupe de leur choix et ne pas me tourner le dos. J’admire également ceux qui n’ont pas eu la chance d’être formé au Conservatoire et qui dansent tout aussi bien.
Le Hura Tapairu prendra une autre dimension l’année prochaine avec l’ouverture d’une catégorie « internationale ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Fabien Dinard : C’est une excellente mesure qui correspond, en fait, à l’internationalisation de notre danse. C’est également pour nous une manière d’observer l’évolution de la pratique au-delà de nos frontières, et l’on peut penser que c’est un premier pas, également, vers un Heiva international, un Heiva qui serait le Heiva des Heiva pour les étrangers.
Vanina Ehu : De savoir que notre danse plaît aux étrangers et qu’elle est reconnue par eux est une bonne chose. Ils ne maitrisent pas vraiment notre langue, mais ils font l’effort. Les danseurs et musiciens d’ailleurs ont une maîtrise technique admirable, même si, malgré tout, ils n’ont pas cette petite chose que les Polynésiens ont en eux.
Il semble que tu as un projet au Mexique en rapport avec le Hura Tapairu. Peux-tu nous en parler ?
Matani Kainuku : Oui, les nouvelles vont très vite ! J’organise le Hura Tapairu i Mexico. Ce concours aura lieu à Guadalajara du 8 au 10 avril 2015, organisé avec la production Tiare Tahiti de Carlos et Nelly Serrano Robles. Des groupes se sont déjà inscrits en Otea et Aparima pour le Prix Hura Tapairu 2015. Il n’y aura pas de ‘Ori tahito car nous, jury, considérons qu’il concerne les Polynésiens d’abord, et le Mehura se jouera avec un support musical. Les gagnants peuvent aussi s’inscrire au Hura Tapairu, section internationale, qui aura lieu à Tahiti en décembre 2015 avec un ensemble d’actions organisées dont le Ori tahiti Master class sous ma responsabilité (un séminaire sur la danse pour des masters uniquement). Pour m’accompagner à Guadalajara, j’ai déjà des membres du jury qui ont accepté et peut-être un chanteur polynésien connu.
Un message à faire passer aux groupes en compétition ?
Fabien Dinard : Je leur souhaite bon courage : sur la même ligne de départ, chacun a sa chance. J’ai hâte de vivre ces soirées exceptionnelles. J’ai, comme tous les passionnés de ‘ori, soif de ces soirées où vibre le cœur du fenua. Un grand fa’aitoito à tous les groupes.
Moana’ura Tehei’ura : Face à l’engouement que suscite le ‘ori tahiti sur le plan international, nous devons rester maîtres de notre propre évolution afin de conserver notre singularité en tant que peuple. Lorsque nos pas et notre musique, notre écriture et notre mode de pensée se rendront esclaves de l’influence extérieure, nous mourrons.
Matani Kainuku : Je souhaite à chacun des groupes de ce 10ème Hura Tapairu beaucoup de réussite et de belles surprises. Une aventure humaine et artistique qui se prépare ainsi dans la discrétion, la persévérance et la passion est une chose extraordinaire. C’est un concours qui met en valeur l’âme polynésienne par les Polynésiens et pour les Polynésiens avant tout. Merci encore pour vos belles créations. Que le meilleur groupe gagne !