N° 82 – « Tout commence par les mots »
Goenda Reea, membre du jury du Heiva i Tahiti 2014
Interview : VH.
Goenda Reea a été élue par les groupes de chants et danses pour faire partie du jury du Heiva i Tahiti 2014. Auteure récompensée au Heiva 2012, c’est tout naturellement qu’elle a intégré le jury en écriture. Elle nous livre ici ses attentes, son sentiment, son regard sur l’évènement et plus particulièrement sur notre langue.
Tu fais partie pour la première fois cette année des membres du jury du Heiva i Tahiti. Quel sera ton rôle ?
Je serais chargée d’analyser, d’étudier les textes qui seront présentés par les groupes de chants et de danses en premier lieu, mais également de manière plus globale d’apprécier leur interprétation dans les spectacles de danse ainsi que dans les prestations au niveau des chants.
Quel est ton sentiment par rapport au fait de passer de l’autre côté de la barrière et de juger tes pairs ?
Je suis ravie, c’est un honneur de faire partie du jury du Heiva, qui est l’événement culturel majeur du Pays. Mais c’est aussi une charge assez difficile, parce que l’on côtoie tous les groupes participants. Pour ma part, ça ne fait que deux ans que je participe au Heiva et je ne connais que Hei Tahiti, avec qui j’ai travaillé. En revanche, je connais les auteurs – comme Patrick Amaru, Jacky Bryant, ou Chantal Spitz. J’ai beaucoup de respect pour eux, notamment parce qu’ils sont tous mes aînés. Je vais essayer de faire mon travail de la manière la plus objective possible, parce qu’il s’agit d’un concours, donc forcément il faudra les « classer ».
Qu’attends-tu de cette expérience ?
Beaucoup de choses ! Je suis certaine qu’elle sera enrichissante et variée, à tous les niveaux : culturellement, professionnellement – je suis également professeur de Tahitien – et humainement. La lecture de tous ces textes va forcément m’apporter beaucoup au niveau de la langue.
As-tu déjà des exigences par rapport aux groupes participants ?
Oui, en tant que membre du jury, il faut avoir des exigences par rapport à son rôle, c’est-à-dire, me concernant, une parfaite maîtrise de la langue tahitienne aussi bien dans son aspect technique que poétique. Quant à la danse et au chant, mes collègues seront plus à même de dire ce qui doit être apprécié à sa juste valeur.
Quelle est l’importance d’un texte dans un spectacle ?
Le texte, c’est la base du spectacle. S’il n’y a pas de texte, il n’y a pas de spectacle. Tout commence par les mots. Quand un groupe se présente au Heiva, c’est vraiment l’auteur qui porte le spectacle d’abord, en association avec le chef de groupe. Le lien qu’il y a entre eux est donc très important. Il faut qu’ils se comprennent. Et je félicite les chefs de groupe pour le travail que représente l’adaptation d’un texte en chorégraphie, en costumes et en musique. Ils parviennent à concrétiser, à donner corps à la vision subjective d’un auteur par rapport à une légende, une histoire…
Tu as été primée meilleure auteure au Heiva i Tahiti 2012 et tu es également l’auteure du thème de Hei Tahiti en 2013, « Tahiri Vahine », avec lequel le groupe a gagné. D’après toi, qu’est-ce qui fait un bon texte ?
C’est difficile à dire, parce que cela relève du domaine de l’art. Il faut parvenir à dépasser le langage de tous les jours. Les textes du regretté Duro a Raapoto sont un bel exemple du niveau de langage que l’on peut atteindre en tahitien : il décrit la Polynésie et les Polynésiens avec de superbes métaphores et de nombreuses figures de style. Il faut être un fin connaisseur de la culture et de la linguistique mais également avoir une âme d’artiste pour pouvoir exprimer des idées avec tant de finesse. C’est pareil pour les poèmes de Henri Hiro, ils sont très beaux et possèdent un style bien à eux, avec beaucoup d’assonances. La beauté d’un texte relève d’une véritable alchimie.
Qu’est-ce qui, selon toi, pourra faire la différence parmi les groupes de danses et de chants cette année ?
Je ne le sais pas encore ! Il y a tellement d’éléments qui rentrent en ligne de compte dans l’appréciation d’un spectacle. Côté danse, la musique, les costumes, les chorégraphies, la gestuelle, le texte bien sûr, le tout doit former un ensemble cohérent et harmonieux. Idem pour les chants : les voix, le texte, la fluidité, la prestation générale du groupe… L’aspect technique est primordial, parce qu’il faut répondre aux critères d’évaluation, mais ensuite on rentre dans le domaine de l’art et du ressenti. Dans le jury du Heiva, chaque membre à un rôle bien précis, répondant à sa spécialité. Nous sommes là pour nous guider mutuellement en fonction de notre expertise. Juger ce concours est un travail, une appréciation de groupe.
L’année dernière, tu as été membre du jury du Hura Tapairu pour la première fois également, quel bilan fais-tu de cette expérience ?
Ce sont de très bons souvenirs. Le jury était composé de personnes compétentes et appréciables. C’était un prélude au travail qui m’attend pour le Heiva ! J’ai beaucoup apprécié le Hura Tapairu, un concours de danse plus intime. En étant pour la première fois de l’autre côté de la barrière, j’ai pu apprécier les spectacles sans stress !
En tant que professeur de Tahitien à l’IUFM et à l’UPF, penses-tu que des événements comme le Hura Tapairu et le Heiva i Tahiti sont de bons moyens pour préserver et diffuser la langue ?
Bien sûr ! Ces concours participent à la préservation de la langue et de la culture. De la langue parce que les textes et les chants permettent aux participants de s’imprégner des sonorités, des mots, et, bien entendu – à condition de faire un effort de curiosité – du contenu, des histoires que l’on interprète. Il faut reconnaître que le reo ma’ohi est de moins en moins compris, parlé, pratiqué. Mais le ‘ori tahiti reste un moyen très populaire d’attirer les jeunes vers notre culture et à travers elle, vers notre langue. La langue porte la culture.
As-tu un message à faire passer aux groupes de danse en général ou à ceux qui participent cette année au Heiva en particulier ?
Qu’ils donnent tout ce qu’ils ont à donner ! Qu’ils prennent du plaisir à venir sur scène pour montrer, pas seulement au jury, à la Polynésie entière, et même au-delà, que nous possédons une culture riche et unique que nous sommes fiers de porter. La beauté et la force des spectacles que les groupes donnent au Heiva depuis toutes ces années sont telles que pour des milliers de personnes, ce sont des sources d’admiration et d’inspiration. Nous devons être fiers que le ‘ori tahiti connaisse tant de succès au Mexique, en Amérique ou au Japon, car jamais notre culture n’a atteint un tel rayonnement.