N° 80 – « Il serait temps de reconnaître et d’apprécier le graffiti pour ce qu’il est »
ALEX, Artiste français, Spécialité Graffiti, Membre du Jury du Concours ONO’U
et
Arnaud OLIVEUX, Spécialiste art contemporain et art urbain, Commissaire-priseur chez Artcurial, Membre du jury du concours ONO’U
ALEX et Arnaud Oliveux sont tous deux membres du Jury du concours international de Graffiti, Ono’u. L’un est un artiste graffeur reconnu, l’autre, un professionnel de l’art. Deux univers par essence opposés mais qui coexistent de plus en plus et se rencontrent. La preuve les 10 et 11 mai place To’ata.
Comment êtes-vous devenu un artiste professionnel en partant du graffiti ?
J’ai découvert le graffiti comme pas mal de jeunes de ma génération dans les années 80, dessinant déjà depuis tout petit, celui-ci m’a très vite attiré. J’ai alors développé une vraie passion pour cet art tout en la préservant pendant un long moment en parallèle de mes activités précédentes (graphiste et dessinateur pour des jeux vidéos, etc.). La notion de « business » me dérangeait vraiment, il aura fallu du temps pour que je m’autorise à vivre de mon art ! Même si aujourd’hui encore je peins surtout pour le plaisir de partager un mur avec d’autres graffeurs ou pour moi-même.
Selon vous, quelle est la différence entre le graffiti et le street art ?
Le point de départ du graffiti est lié aux murs et aux trains peints dans les années 70, surtout à New-York, et qui s’est développé en Europe dans les années 80, puis à travers le monde entier. Les tags (signatures) et les lettrages plus complexes sont souvent le nom des artistes développant leur style propre, le plus visible possible pour une reconnaissance grandissante. C’est un art éphémère, rapide, parfois risqué et illégal.
Le street art, d’après-moi, est un terme inventé par les institutions (galeries, maisons de ventes aux enchères) pour le différencier de l’art contemporain. C’est un terme générique qui regroupe à la base le pochoir, le collage, les installations. Il faut bien faire la différence entre ces pratiques dites de rue, et le graffiti qui est dans la rue depuis plusieurs décennies. Par son histoire, le graffiti a permis au street art d’investir l’espace urbain plus facilement. Il y a un décalage dans l’appréciation artistique des uns et des autres, dans l’appropriation des espaces. Nombre de street artistes ne connaissent rien à l’histoire et à la pratique du graffiti…
Quid du tag ? Le considérez-vous également comme une forme d’art ?
Le tag EST à l’origine du graffiti, qui est avant tout le travail de la lettre. Le tag est par définition le nom de l’artiste qui va y exprimer son style et sa personnalité. Le tag est la base du parcours du graffeur.
Comment les graffeurs parviennent-ils à se faire repérer dans le milieu de l’art contemporain ?
Je pense qu’en produisant beaucoup, en participant à un maximum d’évènements, un graffeur a plus de chance de se faire « repérer ». Mais pas forcément dans l’art contemporain, puisque le graffiti a été relégué à la case du street art, ce qui biaise la valeur de l’artiste issu du graffiti et son talent de peintre sur toile. Nombre d’acheteurs et de galeristes connaissent peu l’histoire de cet art, ils font souvent leurs choix par rapport à la médiatisation et à la cote de l’artiste, le talent n’est pas seulement la clé du succès… Et puis le graffiti est un art à part entière, qui a plus de 40 ans, il serait temps de le reconnaître et l’apprécier pour ce qu’il est et ce qu’il vaut !
Quel est l’intérêt d’un festival comme Ono’u selon vous et qu’en attendez-vous ?
Tout d’abord, c’est l’opportunité de se retrouver dans un cadre de rêve comme Tahiti -l’occasion pour beaucoup d’entre nous de s’y rendre pour la première fois !
Réunir de nombreux graffiti-artistes du monde entier dans ce contexte permet de promouvoir l’art du graffiti dans des endroits où il est moins développé que dans les grandes capitales du monde. Cela permet d’exprimer, de créer et d’échanger dans un autre environnement, plus « neuf », plus détendu aussi certainement. Avec de nouveaux regards et des mélanges de cultures modernes et traditionnelles, forcément créatives et du coup des énergies qui dynamisent ce mouvement qui a besoin de continuer à se développer en tant que tel.
Arnaud OLIVEUX (Commissaire-priseur chez Artcurial)
Pourquoi et comment vous êtes vous spécialisé dans le graff et le street art ?
Tout a commencé par une rencontre pendant mes études avec un artiste « Urban », Da Cruz, avec qui j’ai sympathisé, et qui est devenu un ami aujourd’hui. Nous avons échangé sur nos secteurs respectifs. Cela m’a donné envie de connaître mieux ce domaine, d’aller plus loin, voir des expositions… Puis j’ai fait des rencontres avec des artistes comme Valériane. L’aventure pouvait commencer. En 2006, lors d’une proposition fortuite d’une petite collection de graffitis à vendre, la porte a commencé à s’ouvrir. On connaît la suite.
Quelle est la différence entre le graffiti et le street art et comment ces deux expressions artistiques impactent les professionnels du monde de l’art ?
Le graffiti renvoie à l’idée d’écriture, l’origine du graffiti c’est essentiellement marquer son nom sur un support dans la ville. Sur un mur, un train, un métro… L’art urbain prend ses sources dans le graffiti en partie, mais intègre aussi d’autres techniques et crée des liens de plus en plus marqués avec le monde de l’art contemporain.
Quoi qu’il en soit, l’art de la rue a un impact de plus en plus important. De nouvelles galeries, de nouvelles ventes se sont développées ces dernières années et cet art, dit « émergent », trouve aujourd’hui ses lettres de noblesse, se répand de plus en plus dans les capitales et les grandes villes internationales.
Depuis combien de temps ces tendances intéressent-elles les collectionneurs et experts d’art et pourquoi d’après vous ? Quel a été l’élément déclencheur ?
Depuis assez longtemps, en fait dès les années 80. Mais tout s’est véritablement accéléré depuis 2005 et les premières ventes aux enchères. Notamment celles des œuvres de Banksy puis Ludo, Rero, Os Gemeos, SEEN, Shepard Fairey, JR, et beaucoup d’autres