N° 77 – « C’est rare d’être autant marqué »

Luc Jacquet, cinéaste

Le réalisateur de « La Marche de l’empereur » – Oscar du meilleur film documentaire en 2006 – du « Renard et l’enfant » et de « Il était une forêt », tout juste sorti en Europe, revient présider le 11ème FIFO avec enthousiasme : Luc Jacquet, cinéaste engagé et audacieux, passe d’un extrême à un autre sans transition  – des glaciers aux lagons ou de la canopée aux fourmilières – nous faisant voir l’invisible et entendre l’indicible, avec une exigence autant scientifique qu’esthétique.

 

Trois ans après, tu reviens présider le Jury du FIFO, quel est ton sentiment ?

Trois ans déjà ! Je suis super content de revenir me plonger dans l’ambiance de ce festival et de retrouver toutes ces cultures qui m’avaient tant touché la dernière fois. J’ai hâte de voir tous les documentaires, de me laisser surprendre et émouvoir par des histoires et des réalités souvent insoupçonnées. C’est important de découvrir la grande diversité du travail des réalisateurs.

 

Qu’est-ce qui t’avait marqué en 2011 ?

Au risque de paraître banal : la chaleur de l’accueil, mais c’est tellement vrai. Et pas que. De découvrir un festival aussi précieux, qui mobilise autant de gens… On ressent un véritable engouement pour le FIFO, c’est un événement au sens propre du terme. La sélection des films est excellente, exigeante. Je me souviens encore des documentaires, ils me sont restés en mémoire. C’est rare d’être autant marqué.

 

Qu’attends-tu du FIFO cette année ?

De vivre encore des émotions et des découvertes qui contribuent à la liberté de création et de langage. Je suis à l’affût de tout ce qui peut susciter de nouvelles rencontres et inspirations !

 

Selon toi, quelle est la définition d’un « documentaire océanien » ?

Je fais attention aux clivages. Pour moi, il n’y a pas de définition. Il faut rester prudent, je crois qu’il y a péril intellectuel et artistique à vouloir ranger les films dans des cases, surtout lorsqu’ils concernent des cultures vivantes. Un documentaire, c’est le point de vue d’un auteur. Je n’ai pas envie d’aller plus loin.

 

Le dernier documentaire qui t’a particulièrement marqué depuis le dernier FIFO ?

Celui qui me vient à l’esprit est « Sugar man ». Une vraie réussite, qui tient autant à l’originalité de l’histoire qu’à l’intelligence de la réalisation et la détermination avec laquelle le film a été fait. Le réalisateur, à court d’argent, l’a terminé avec son téléphone portable ! J’aime les regards passionnés et les approches courageuses, ambitieuses.

 

Présente-nous ton dernier film, « Il était une forêt »

Le but de ce film est de faire entrer les spectateurs dans des échelles de temps et de tailles dans lesquelles ils ne sont jamais allés. Tout le monde a déjà vu des documentaires sur la forêt, mais ce que nous montrons dans cette dynamique de découverte, ils ne l’ont jamais vu : nous avons cherché à rendre visible le mouvement, l’intelligence végétale qui est à l’œuvre partout dans la forêt. Je suis très content car le public est au rendez-vous – 300 000 spectateurs depuis sa sortie en France le 13 novembre dernier. Le sujet était difficile et la réalisation, un défi… Ce sont les arbres les héros du film. Comment « faire voir » ces géants en apparence immobiles, autour desquels gravitent des tas d’autres mondes, dont celui de l’infiniment petit ? Ce film nous a poussé à développer des nouveaux outils pour nous permettre d’entrer dans le monde des arbres… Nous avons dû inventer des moyens de filmage inédits !

 

Lesquels par exemple ?

Nous avons entre autres mis au point un prototype de caméra sur câbles, « l’Arbracam », qui permet de faire des travellings dans trois dimensions. On a transformé des périscopes* pour filmer l’infiniment petit et développé un drone pour la canopée.

 

L’environnement semble au cœur de tes préoccupations, tu as notamment créé l’association « Wild Touch », quels sont ses objectifs ?

Avec l’association Wild Touch, nous entendons réconcilier l’homme avec le monde dans lequel il vit via l’émerveillement suscité par les images. Cela se traduit par des films engagés mais également en offrant une multitude de regards et de points de vue autour d’une même cause – webdocumentaires, expositions, etc.… J’essaye d’attirer l’attention du public à travers le cinéma et l’émotion, en présentant la nature « autrement », de façon sensible pour émerveiller les spectateurs. Car il est évident que l’« on protège mieux ce qu’on aime ».

 

Quel sera le sujet de ton prochain film ?

Il s’intitule « La glace et le ciel ». C’est le portrait d’un grand scientifique, Claude Lorius, le plus célèbre des glaciologues français. En reconstruisant les climats du passé contenus dans les glaciers du continent Arctique, il a mis en valeur dans les années 1960 l’importance des gaz à effet de serre sur la température de la Terre, révélant ainsi la responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique… Le film revisite son héritage et l’histoire de cette aventure humaine et scientifique. Claude m’emmène autour du monde, là où il avait prédit les conséquences du réchauffement climatique : en Alaska, dans les Alpes, en Namibie mais aussi en Polynésie… Le film devrait sortir début 2015.

 

Un dernier message à nos lecteurs en attendant le festival ?

Je suis impatient d’arriver et de me plonger dans la sélection de documentaires.  Je suis également très fier d’amener « Il était une forêt » chez vous car cela va permettre de se rencontrer, non pas seulement autour de mon rôle de président du Jury du FIFO, mais également autour de mon travail. Je dirais que c’est plus fair-play !

 

Rendez-vous lundi 3 février au cinéma le Majestic, à 19h (sur invitation, à retirer à la Maison de la Culture) pour la projection en avant-première du film « Il était une forêt », de Luc Jacquet.

 

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