N° 74 – Vaitai’o Ancienne source et nouvelle ressource du Musée

Rencontre avec Vairea Teissier, documentaliste et médiatrice culturelle du Musée de Tahiti.

Vaitai’o, le nouvel espace d’accueil du Musée, vous propose désormais de commencer votre visite par un temps de lecture. Vous y trouverez en effet en consultation ainsi qu’à la vente une centaine d’ouvrages publiés entre autres par le Musée de Tahiti et des Îles – des livres aussi magnifiques que documentés sur les principaux thèmes du patrimoine polynésien. Vaitai’o est le nom donné à ce lieu, un toponyme chargé d’histoire que nous vous proposons de découvrir.

« À l’occasion du réaménagement du hall d’accueil du Musée de Tahiti, la directrice Théano Jaillet m’a sollicitée pour trouver un nom à cet espace », explique Vairea Teissier, documentaliste et médiatrice culturelle du Musée qui fut aussi archéologue. Espace qui sera nouvellement dédié à la consultation et à la vente des ouvrages des livres édités par le Musée de Tahiti et des Îles. Un catalogue riche et varié dans lequel on pourra en apprendre davantage sur l’histoire de la pirogue, du tressage, des costumes de danse, des collections, mais aussi sur le patrimoine contemporain (Paul Gauguin, Roger Parry, etc.).

 

Une source royale qui se mue en source de lecture

« J’ai tout de suite eu l’idée de proposer le nom de Vaitai’o, poursuit Vairea, car c’est le nom d’une source, peut-être même d’une ancienne résurgence de la rivière Punaru’u, aujourd’hui enfouie et dont une partie de son cours d’eau qui s’écoule sous terre traverse les jardins du Musée. » Heureuse coïncidence, peu de temps avant, Vairea fait la connaissance de Mämä Eri Teharuru, mère de Tilda Teharuru, toutes deux résidentes de la Pointe des Pêcheurs à proximité du Musée, mais aussi descendantes des ari’i rahi ou grands chefs de Hiti*. Hiti, rappelons-le, est l’ancien nom de la commune de Puna’auia. Vairea Teissier est l’auteure d’une carte toponymique sur Hiti, dans laquelle elle retrace les noms et l’histoire de ce lieu prestigieux. « C’est la première fois qu’une personne native des lieux, Mämä Eri Teharuru donc, me confirmait le nom de cette source : Vaitai’o. Sa fille Tilda m’a dévoilé quant à elle le nom de Vaiari’i comme seconde dénomination attribuée à cette source. Ce qui semble cohérent puisque – vai peut signifier eau et ari’i : chef – nous sommes situés sur un complexe cultuel, mais surtout sur le lieu de résidence des ari’i rahi de Punaauia. Portes d’entrée vers l’histoire, les toponymes sont en effet des marques identitaires, symboles d’une présence et d’une appropriation du territoire.

Dans la présentation des anciennes divisions territoriales de Teuira Henry dans « Tahiti aux temps anciens », les prérogatives de Punaauia sont les suivantes : « La montagne qui domine est Orohena (…) Le terrain de réunion est Oroperu (…) ; la pointe extérieure Punaauia (…) ; la rivière Vaitaio (…) ; les marae étaient Punaauia ».

Mämä Eri a insisté auprès de Vairea sur la glottale dans la prononciation du terme  « tai’o », qui signifierait « lire et compter ». « Vai-tai’o » pourrait être traduit par « persévérer dans la lecture ». « Pour ma part et jusque-là, je prononçais Vai-taio, précise Vairea, que l’on peut traduire par « fidèle en amitié », tandis que Teuira Henry de son côté traduit par « eau de l’amitié ». Cette histoire m’a interpellée et j’ai tenté de reconsidérer la séquence historique des lieux. Celle-ci ne se situe pas à la période d’avant les contacts avec les Européens mais précisément à l’époque de l’installation des missionnaires à la Pointe Punaauia ».

Vairea de clarifier : « En octobre 1819, le chef ’Utami reçoit Robert Bourne et le révérend David Darling qui s’installent à la pointe Punaauia et baptisent cette station missionnaire Burder’s Point en l’honneur de George Burder, secrétaire de la L.M.S. (London Missionary Society). En novembre, ils font bâtir un temple, une école et installent deux presses. Les premiers textes imprimés sont un abécédaire et la ‘’Lettre aux Apôtres’’. C’est le début de l’abandon de la religion ancienne au profit du christianisme, mais c’est aussi le début de l’apprentissage de l’écriture et de la lecture de la Bible notamment pour les Tahitiens à partir de ce moment. La Pointe Puna-aui-a (‘’Puna que l’on a assis, établi et élevé’’), en ce sens consacrée sur le marae Punaauia devient dès lors la Pointe Puna-’aui-a : ‘’Puna cuit à l’étouffé.’’** »

La science des noms de lieux, la toponymie, a cette vertu de nous plonger dans le passé et de nous dévoiler une réalité parfois insoupçonnée et toujours éclairante.

Car des évolutions linguistiques liées aux séquences mythiques et historiques du lieu, on peut en déduire une évolution identique du nom « Vaitaio » avant l’arrivée des missionnaires qui se transforme en « Vaitai’o » à compter de leur installation. Une mise en perspective très intéressante qui donne du sens à ce nouvel espace littéraire !

 

* « Hiti » est un territoire qui part de ‘Orohëna en suivant la vallée Punaru’u jusqu’à la pointe Nu’uroa à Puna’auia. Il est défini comme la frontière première et originelle « Te Ara o Tahiti », berceau des familles ari’i de Punaauia mais aussi de l’île de Tahiti, puisque l’origine du concept et de l’appellation Tahiti prend naissance ici même.

** Traductions d’Hiriata Millaud.

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