Tressage : le lien d’éternité

Le tressage polynésien est une aventure culturelle riche, complexe et toujours en devenir, qui plonge ses racines dans les temps immémoriaux. Pour lui rendre hommage, mais aussi pour retracer son histoire, la Maison d’Edition Au Vent des Îles, soutenue par le gouvernement polynésien, vient de publier un superbe ouvrage présentant le tressage dans ses dimensions anciennes et contemporaines.

C’est à un véritable voyage légendaire et historique au fil des fibres et des tresses que Hinanui Cauchois, son auteur, nous invite.

 

Une histoire de gestes, de matières et d’adaptation

 

« Le tressage est un acteur et un témoin silencieux de l’aventure humaine qui a accompagné les ancêtres des Polynésiens depuis l’Asie du Sud-Est jusqu’aux extrémités du triangle polynésien », écrit Hinanui Cauchois dans son introduction. C’est vrai : ce domaine reste aujourd’hui mal connu, en dépit de son importance culturelle et socio-économique indéniable. « Il marque, raconte Hinanui, son rôle fondamental dès les premières migrations (…) ; il est présent, toujours en filigrane, à travers les voiles en pandanus tressées et les ligatures en nape, elles-mêmes parties intégrantes des pirogues doubles poussées par le souffle de Ta’aroa (…). Il est présent, entrelacé, dans les paniers en ni’au et en pandanus transportant les ressources vivrières (…) ».

Dans un monde sans clou ni vis, la maîtrise des fibres naturelles était l’une des rares ressources pour la fabrication d’objets. « Tout l’art des Polynésiens repose en effet sur leur étonnante aptitude à tirer profit de la générosité de la nature qui s’offrait à eux », estime l’auteur.

Dans cet ouvrage très complet, le lecteur pourra découvrir les origines du tressage polynésien jusqu’à ses innovations actuelles, les savoir-faire et techniques de création aux descriptions des matières qui lui permettent de se matérialiser.  Au fil du livre, vous serez conduits des pirogues aux habitations en passant par la multitude d’objets omniprésents dans les domaines du quotidien et du sacré, de l’utilitaire et de l’artistique, le tout illustré par une iconographie très riche. Hinanui Cauchois nous dévoile aussi les aspects du tressage contemporain, ses transitions, évolutions et mutations.

Indispensable par le passé, créatif aujourd’hui, le tressage demeure en Polynésie un art vivant mais aussi une activité lucrative pour de nombreuses familles. Un patrimoine très riche qu’il convient de préserver, de transmettre et d’alimenter pour qu’il garde toute sa place dans notre société.

 

Hinanui Cauchois

 

« J’ai découvert toute la richesse et toute la complexité de cet art »

 

Pourquoi un livre sur le tressage ?

Les éditions Au Vent des Îles m’ont contactée pour me proposer de réaliser cet ouvrage. L’idée de la collection « Culture Pacifique », qui comprend notamment des livres sur la sculpture et le tifaifai, est de dresser un panorama historique d’une thématique de la culture polynésienne. Le tressage est un art majeur en Polynésie et il paraissait important de le situer chronologiquement, à la fois dans sa dimension historique et sociale, car cela n’avait jamais été fait.

 

Combien de temps as-tu travaillé autour de ce livre ?

Les recherches, les entretiens et l’écriture m’ont demandé trois années de travail. Parallèlement, je suis archéologue professionnelle depuis 15 ans et professeur d’histoire géographie depuis quelques années. Depuis cette rentrée, j’enseigne au collège-lycée Anne Marie Javouhey à Uturoa. Je suis également en train de finaliser mon doctorat en archéologie auprès de l’Université de Hawaii que je pars soutenir très bientôt avec mon petit garçon de 8 ans. Ce fut donc un projet très intense… A l’origine, je ne suis pas une spécialiste du tressage mais je me suis totalement investie pour le sujet dont j’ai pu découvrir toute la richesse et toute la complexité.

 

Avec le recul, qu’est-ce qui t’a le plus marquée durant cette aventure culturelle ?

De constater à quel point le tressage était intégré – indispensable même – à tous les domaines de la vie des anciens Polynésiens. Il se fondait complètement dans leur mode de vie et avait une utilité et une fonction pour tout : la navigation, la pêche, l’habitation, les objets du quotidien, les vêtements, les armes, la musique, les ornements, la religion…. Le savoir-faire de la population autour de l’utilisation des matières premières et des techniques de tressage était incroyablement abouti.

 

Tu consacres un chapitre important au chapeau, un objet introduit au début du 19ème et dont l’histoire est étonnante…

Oui, en effet. Il faut savoir que le chapeau, tel qu’on le connaît aujourd’hui, n’existait pas dans la société polynésienne. La tête était considérée comme sacrée et seuls les chefs avaient le privilège de porter des coiffes. Lorsque les Occidentaux sont arrivés avec les couvre-chefs, ils ont eu un succès fou ! Au-delà de l’attrait pour la nouveauté, les Polynésiens de tous rangs ont pu s’approprier, presque usurper subitement cet insigne de pouvoir… Les gens ont appris à tresser des chapeaux, accessoires devenus très vite intégrés à la vie locale pour atteindre aujourd’hui le niveau de créativité qu’on leur connaît.

 

Et aujourd’hui, que représente le tressage dans la société polynésienne selon toi ?

Sa fonction s’est déplacée et son utilisation a été réinventée, mais il reste un art majeur. Il y a dans l’ouvrage un grand chapitre sur la transition entre le tressage dans le quotidien d’hier et celui de nos jours. L’arrivée progressive, dès la fin du 18ème siècle, de nouveaux matériaux et techniques, a invariablement entraîné l’abandon de certains savoir-faire traditionnels comme le tapa. Aujourd’hui, même si le tressage est toujours utilisé de manière traditionnelle dans certaines îles pour la confection de paniers, filets de pêche ou pirogues, il n’est plus, pour la plupart des familles polynésiennes, une activité indispensable au quotidien. En revanche, il est devenu une forme de « vitrine culturelle » et permet aux artisanes de perpétuer les gestes d’hier tout en y apportant beaucoup de créativité. Il existe de véritables virtuoses du tressage ! Cette activité représente, il ne faut pas l’oublier, une source de revenus non négligeable pour des milliers de personnes.

 

La transmission est-elle assurée pour les générations futures ?

La transmission se perd peu à peu. C’est un phénomène triste et malheureusement déjà bien engagé à certains endroits. Le tressage demande beaucoup de patience et de dextérité et les jeunes, même aux Australes, ont de moins en moins envie d’y consacrer du temps, lui préférant d’autres pratiques plus en accord avec leurs centres d’intérêt. C’est la marche du progrès et de la mondialisation à laquelle on n’échappe pas ! Pourtant l’activité connaît tout de même un véritable dynamisme, mais il y a un problème de formation et de rentabilité. Les CJA et à un niveau supérieur le Centre des Métiers d’Art  enseignent le tressage mais je n’ai pas le sentiment qu’il représente la motivation principale des élèves, lui préférant la sculpture ou le tatouage et ne voyant peut-être pas dans cette activité difficile de débouchés suffisamment lucratifs. Je pense qu’il existe un potentiel économique intéressant mais il faut le développer de manière peut être plus systématique et plus structurée. L’avenir du tressage dépendra aussi d’une volonté politique, à condition que le Pays se décide enfin, un jour, à mettre en place une véritable politique culturelle et patrimoniale qui dépasse largement la problématique du tressage. Le développement du tourisme culturel qui se fait tant attendre depuis des années est également un secteur dans lequel le tressage aurait toute sa place.

 

Laetitia Liault, Chef du Service de l’Artisanat Traditionnel

 

« Le tressage est une pierre angulaire de la société polynésienne »

 

Le Service de l’Artisanat Traditionnel a accompagné financièrement et logistiquement la réalisation de cet ouvrage, avec Christian Robert, l’éditeur et Hinanui Cauchois, l’auteur. « C’est, à l’origine, un projet initié par Pascale Haiti, ministre de l’Artisanat en 2004, indique Laetitia Liault, qui souhaitait valoriser les savoir-faire de nos artisans mais aussi replacer les connaissances liées au tressage polynésien dans leur contexte historique et social. Le résultat est à la hauteur de nos attentes et ce livre peut d’ores et déjà être conçu comme un outil qui sera utile à toutes les générations. Le tressage est une pierre angulaire de la société polynésienne, d’hier à aujourd’hui. Les artisans ont su évoluer avec leur temps et s’adapter aux goûts et modes actuelles. Le tressage et la vannerie ont toujours une place et une utilité dans notre vie, qu’ils soient traditionnels ou plus innovants et font vivre de nombreuses familles polynésiennes, notamment aux îles Australes. Le tressage marie à merveille les expressions d’un savoir-faire traditionnel et les inspirations contemporaines, il a su donner une résonance moderne à notre héritage culturel. »

 

La collection vannerie du Musée de Tahiti et des Îles

Le tressage était présent à toutes les étapes et dans presque tous les objets de la vie des anciens Polynésiens. Le Musée de Tahiti et des Îles possède une collection de plusieurs centaines d’œuvres illustrant ce savoir-faire millénaire. Un patrimoine multiple et fragile constitué de cordages, de tresses et de liens utilisés pour la navigation (pirogues, voiles), la pêche (filets, nasses, pièges, hameçons, l’habitation (pe’ue), les objets du quotidien (paniers, outils), les vêtements, les armes (lances, massues, frondes), la musique (tambours), les ornements et objets de prestige (parures, coiffes, éventails), la religion (to’o, costume de deuilleur)… Le Musée possède également une collection de chapeaux tressés dont certains par la reine Pomare elle-même (19ème) ainsi qu’un ouvrage remarquable : le livre de l’école des frères Viénot (1880), qui conserve une centaine d’échantillons tressés aux styles, motifs et matières différents, exécutés par les élèves.

 

La collection « Culture du Pacifique » d’Au Vent des Îles

La maison d’éditions Au Vent des îles, dirigée par Christian Robert, s’attache à développer un catalogue varié, dans une volonté de proposer au public de la région et d’ailleurs un panorama complet et représentatif de l’Océanie « de l’intérieur ».

Le catalogue se traduit par plusieurs collections, allant de la littérature au polar en passant par l’environnement et la culture. L’ouvrage « Tressage » fait partie de la collection « Culture du Pacifique », un ensemble de 12 titres. Tous sont de beaux livres à l’iconographie soignée, dont les thèmes abordent la culture océanienne dans toutes ses expressions (sculpture tifaifai, va’a, tatouage, etc.
).

Pour en savoir plus : www.auventdesiles.pf

 

« Le tressage. Objets, matières et gestes d’hier et d’aujourd’hui »

Auteur : Hinanui Cauchois

Edition Au Vent des Îles

Disponible dans les librairies et supermarchés de la place, ainsi que sur www.auventdesiles.pf, au tarif de 3 950 Fcfp.

 

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