« Mon combat est de faire parler du Pacifique sur un autre registre »

Au Vent des Îles a été créée à Tahiti par Christian Robert au début des années 1990. En une vingtaine d’années, la maison d’édition a développé un catalogue varié dans lequel l’Océanie s’écrit et se montre, où résonnent des noms prestigieux ou prometteu­­­­rs, des sujets pointus ou méconnus. Retour sur cette aventure littéraire exigeante et passionnée avec son fondateur Christian Robert.

 

Parle-nous de la naissance de la maison d’édition Au Vent des Îles.

Il y a deux choses : d’abord la naissance de l’entreprise Scoop en 1988, qui était spécialisée dans la prépresse (maquettes, magazines)… En 1991, on a commencé à publier des livres. On a décidé de  continuer dans cette voie et de s’équiper d’une marque qui nous paraisse représentative de ce qu’on voulait afficher. Petite anecdote, c’est Bruno Saura qui a trouvé le nom actuel, «Au vent des îles». Aujourd’hui, la maison d’édition compte 200 titres, toutes collections confondues : littérature, culture, sciences humaines, guides, jeunesse, etc.

 

Comment conçois-tu ton rôle d’éditeur ?

Mon combat est de faire parler de Tahiti et plus largement du Pacifique sur un autre registre : sortir des clichés et des lieux communs. Donner la parole à des auteurs de la région, à des voix d’aujourd’hui, qu’ils puissent dire leur vision du monde. Nous avons créé une collection qui réunit des écrivains océaniens, avec bien sûr les principaux auteurs tahitiens, mais également des auteurs majeurs de Nouvelle-Calédonie — qu’ils soient calédoniens ou kanaks — ainsi que de grands auteurs anglophones, d’Australie, des Samoa et de Nouvelle-Zélande, dont on rachète les droits pour les traduire et les diffuser dans le réseau francophone. Nous distribuons notre catalogue dans le bassin océanien, en France, au Canada, dans les DOM TOM, un peu en Afrique et bien évidemment sur Internet. Techniquement, on est en place. C’est la base : être distribué pour pouvoir être acheté !

 

Quelles sont les chances et les perspectives de la littérature du Pacifique en Océanie et ailleurs ?

En Océanie,il est urgent que les gens s’y intéressent. Après, on ne peut pas forcer les gens à lire et à s’ouvrir au monde. Nous, on met à disposition le fruit de plus de vingt ans de travail : il est temps que les gens se l’accaparent. C’est regrettable, mais très peu de nos livres sont inscrits au programme des établissements scolaires de Polynésie, alors que certains titres y auraient toute leur place, et susciteraient peut-être un engouement pour la lecture.

 

Qu’est-ce qui est difficile dans ce métier ?

Sortir un livre de littérature, par exemple, demande au moins un an de travail. C’est beaucoup d’énergie, d’argent, d’affection, c’est un gros investissement à tous les niveaux. Lorsque le livre est prêt, on vit cela avec beaucoup d’intensité, comme une naissance. Ce bébé, tu lui souhaites de devenir adulte, de trouver son public. Et puis lorsqu’au bout d’un an tu t’aperçois que seule une centaine de personnes s’est sentie concernée… C’est un peu démoralisant !

C’est aussi très compliqué en termes d’équilibre financier, mais il faut se dire que l’on n’a peut-être pas trouvé les arguments pour donner envie aux gens de lire ce livre. C’est à chaque fois une remise en question pour progresser.

 

Comment gères-tu la problématique de l’édition numérique ?

Le marché de l’édition numérique dans le monde francophone représente entre 3 et 5% du chiffre d’affaires de l’économie du livre. Au Canada, aux USA, il est de 18%. Même si ce n’est pas encore la révolution que l’on aurait pu imaginer, la problématique ne nous laisse pas indifférents. On a attaqué depuis mars 2012 la numérisation d’une grande partie de nos titres. C’est un processus compliqué et technique. Depuis début juillet 2013, notre collection « Littérature du Pacifique » est disponible sur le marché du numérique (iBookstore, Kindle d’Amazon, Kobo…).

Pour la Polynésie, je pense d‘abord aux habitants des iles, pour qui le livre va enfin devenir accessible, tout de suite, sans surcoût de transport, sans attendre ni l’avion, ni la goélette !

 

Le fait de dématérialiser le livre est-il plus intéressant en terme de coût ?

L’idée selon laquelle créer un livre numérique serait plus « rentable » qu’un livre en tant qu’objet est un a priori. Les coûts d’impression dans l’économie d’un livre ne représentent pas le principal. Dans les deux cas, le gros du travail se fait en amont. Pour la distribution, les coûts d’accès sont les mêmes puisque le schéma est identique. Les normes qui sont préconisées par le Syndicat national de l’édition sont de fixer le prix de vente du livre numérique dans une fourchette de 60 % à 100% du prix papier.

 

Tu es le président de l’Association des Editeurs Tahiti et des Îles (AETI), quel est le rôle de cette association ?

Valoriser le patrimoine littéraire et documentaire de chacun et participer ensemble à des événements. C’est une tâche assez lourde que de présider l’AETI. Nos deux gros événements de l’année sont le salon du livre de Paris en mars, pour lequel les éditeurs de l’association se joignent aux éditeurs de Nouvelle-Calédonie sur un Pavillon Océanien. Le salon du livre de Paris accueille environ 200 000 visiteurs, c’est le lieu où se faire connaître. Puis, nous organisons le salon Lire en Polynésie tous les ans à Tahiti, ce sera la 13ème édition cette année. Une organisation qui demande beaucoup de travail et de temps… C’est satisfaisant car on fait venir de grands auteurs et on met en place des animations pour motiver la lecture. Je pense que le public y trouve beaucoup d’intérêt. Cela permet, notamment auprès des plus jeunes, de désacraliser le livre qui reste trop souvent un objet que l’on n’ose pas trop approcher. Là, on discute avec les auteurs, on réalise qu’ils sont non seulement «normaux» mais en plus intéressants !

 

Justement, un mot sur le prochain salon Lire en Polynésie?

Il aura lieu du 14 au 17 novembre 2013 à la Maison de la Culture. Le thème retenu est celui du rêve. On essaye d’organiser un maximum de rencontres, de conférences et d’animations autour de ce thème. On aura des Indiens d’Amérique du Nord, des auteurs aborigènes (Dreamtime), des écrivains qui ont un rapport au chamanisme et qui accordent au rêve une place à part.

 

Si on te donnait des crédits pour développer une action culturelle, que ferais-tu en priorité ?

Je développerais la lecture publique en Polynésie, à travers un réseau structuré. Une médiathèque à Papeete, des bibliothèques dans les communes et dans les iles. C’est un impératif pour permettre l’accès du plus grand nombre à la lecture et au livre, pour lutter contre l’illettrisme, pour permettre à tous d’être des citoyens à part entière, il me semble que c’est une condition nécessaire à la construction d’une société harmonieuse. La lecture est une nécessité pour tous ! Beaucoup n’en sont pas persuadés, pourtant…

 

Des projets à venir ?

Oui, plein ! Notamment la sortie d’une biographie de Bobby, remarquablement racontée par Dorothy Levy et Bruno Saura, un livre sur les généalogies qui à mon avis fera date, et d’autres surprises …

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