N° 74 – Le ‘ori tahiti, bientôt au patrimoine mondial de l’UNESCO ?
Le ‘ori tahiti constitue un élément majeur du patrimoine culturel polynésien. Chacun s’accorde à le reconnaître. Un intérêt que nous ne sommes pas les seuls à partager puisque le succès de la pratique de la danse traditionnelle tahitienne se confirme et s’étend dans le monde entier à une vitesse vertigineuse. C’est la raison pour laquelle les acteurs et les figures du ‘ori tahiti pensent qu’il est temps de lancer une procédure de classement de cet héritage artistique au patrimoine culturel mondial de l’UNESCO.
S’il est un sujet qui passionne les gens de culture, c’est bien le ‘ori tahiti. Il faut dire que le monde des arts traditionnels a de quoi plaire, avec ses figures de légende et ses chefs de groupe aux caractères trempés de mana, avec ses danseurs et danseuses uniques au monde, avec toute cette famille d’artistes, de musiciens, chorégraphes, costumiers, décorateurs, écrivains… un monde unique, en effet, que le monde nous envie.
Une fascination dans le monde entier
Art vivant qui se renouvelle sans cesse, lien parfait entre un passé enraciné dans les cœurs et un futur prometteur, le ‘ori tahiti illustre à bien des égards les enjeux liés aux arts traditionnels : il faut, à la fois, savoir les préserver et les développer. Mais le chemin est long et les difficultés plus nombreuses qu’il n’y paraît : le ‘ori tahiti est désormais pratiqué de manière internationale sur au moins quatre continents.
Cela ne décourage pas les acteurs de la vie culturelle publique, loin s’en faut : le directeur de la Maison de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu, un des premiers défenseurs des arts traditionnels, avait notamment souhaité inscrire la culture comme moteur du développement du pays, lors des états généraux et la protéger à l’international ; idem pour le directeur du Conservatoire, Fabien Dinard, dont l’établissement est l’un des principaux outils de formation de la sphère publique, et qui a présenté, lors de la semaine du patrimoine – à la demande du gouvernement – un travail évoquant les procédures de classement des trésors nationaux sur les listes du patrimoine culturel mondial.
Union public privée… essentielle !
Tous les espoirs du secteur public resteraient vains sans la présence, la participation, l’aval et l’accord des groupes, écoles et associations, représentant les forces vives, la famille du ‘ori tahiti dont les pères fondateurs et les grands noms, les lauréats et les nouvelles étoiles.
C’est là qu’intervient la fédération de ‘ori tahiti, créée il y a deux ans et qui regroupe actuellement près de 30 formations de danse (groupes Hura Tau et écoles). La fédération s’est intéressée très tôt à la question du classement du ‘ori tahiti au patrimoine mondial de l’UNESCO, au titre des biens culturels immatériels. « Une des raisons de l’existence de cette fédération est de conforter l’origine du ‘ori tahiti, explique Manouche Lehartel, présidente en titre. Et nous avons décidé de faire du projet de classement un de nos chevaux de bataille ». En juin dernier, l’idée était soumise au ministre de la Culture Geffry Salmon, qui lui a rapidement donné un écho favorable en chargeant notamment le directeur du Conservatoire de présenter une base de travail et des orientations pouvant guider la mise en œuvre d’un tel dossier.
« Il s’agit avant tout de mettre tout le monde d’accord, de réunir la famille du ‘ori tahiti, souligne-t-il. Ce projet est l’affaire de toute la communauté artistique, des groupes, des associations et bien évidemment du Pays. Ensemble, nous devons poser et consacrer les bases du ‘ori tahiti pour que l’on puisse, enfin, tous parler le même langage en matière de pas, de mouvements, de rythmes, de chants, de termes et de définition. »
L’intérêt de cette démarche
« Nous avons pris conscience du développement spectaculaire de notre danse hors de nos frontières, indique Manouche Lehartel. Rien qu’au Japon, il y aurait 300 000 pratiquants, soit l’équivalent de notre population toute entière. Aux Etats-Unis et au Mexique, ils sont également des milliers. Une supériorité numérique qui peut faire peur et conduire à des confusions irrémédiables en matière d’appartenance. Par le biais de cette démarche de classement, nous souhaitons simplement protéger notre héritage, être certains que le monde n’oublie pas que le ‘ori tahiti trouve son origine ici, à Tahiti.
Un autre aspect paraît primordial. Les chefs de groupes prestigieux sont régulièrement amenés à participer à des concours de danse tahitienne à l’étranger. « On constate parfois que c’est autre chose, s’apparentant davantage à de la gymnastique dansée » souligne encore la présidente de la Fédération.
Fabien Dinard et Manouche Lehartel se retrouvent sur l’essentiel, sur l’âme de la danse. « C’est un art au sein duquel on ne peut pas dissocier la technique du sens et du contenu, de la vision du monde qu’il exprime. Aussi, nous voulons bien partager le ‘ori tahiti mais à condition de sauvegarder, pour les générations futures, son essence. »
« Sauvegarder » n’est pas « figer »
Et pour sauvegarder cet art, il existe une formule qui se résume en quelques initiales : UNESCO, l’organisation des nations unies pour la culture et l’éducation. Cette institution internationale est synonyme de garanties, de protection et de valorisation.
Encore faut-il pouvoir bien expliquer les enjeux d’un tel classement qui, mal expliqués, peuvent inquiéter.
« Appartenir à ce label ne signifie en aucun cas que le ‘ori tahiti n’admettra plus la création », précise Manouche Lehartel. Pour Fabien Dinard, également, le ‘ori tahiti est un patrimoine vivant, qui évolue et continuera d’évoluer. Sauvegarder ne signifie donc pas figer, mais exposer… avec des garanties internationales à la clé. « Le fait de classer le ‘ori tahiti au patrimoine mondial de l’UNESCO ne dépossédera personne » poursuit Manouche Lehartel, « et en tout cas ne nous empêchera pas de danser comme on l’entend ! Au contraire, cela permettra de fixer et de transmettre son origine et son histoire. Ce sera un outil référentiel. »
Le futur en question
« Il me semble évident que le futur de nos arts traditionnels dépend entre autres de ce classement », admet Fabien Dinard, qui connaît également la réticence de certains face à cette notion. « Notre établissement n’imposera rien à quiconque. Ce n’est pas notre rôle. Ceci dit, on nous a confié la mission d’enseigner ces arts, de les développer et les valoriser. En ouvrant ce nouveau chapitre du ‘ori tahiti, nous remplissons pleinement nos missions car cela amènera à faire légitimement figurer la culture polynésienne au même rang que les grandes cultures de ce monde. »
Il est en effet grand temps. Chacun semble bien décidé à avancer, en faisant de chaque différence l’occasion d’enrichir et de renforcer le monde merveilleux du ‘ori tahiti.
Quid du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO ?
L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) œuvre dans les domaines de l’éducation, des sciences sociales et naturelles, de la culture et de la communication « dans le but de promouvoir la coopération internationale dans ces domaines en vue d’un monde plus pacifique ». En 2003, l’UNESCO a adopté une Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. La Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité est composée d’expressions qui démontrent la diversité du patrimoine immatériel et qui font prendre davantage conscience de son importance. En 2013, 298 éléments figurent sur cette liste, qui inclut des traditions comme les dessins sur sable du Vanuatu, le fest-noz (danses traditionnelles bretonnes), le flamenco espagnol ou encore le mayola réunionnais (musique, chant et danse).
Pour l’UNESCO, le patrimoine culturel immatériel « comprend les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et évènements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel. Bien que fragile, le patrimoine culturel immatériel est un facteur important du maintien de la diversité culturelle face à la mondialisation croissante. (…)
Le patrimoine culturel immatériel est : traditionnel, contemporain et vivant à la fois. (…) Fondé sur les communautés. (…) Ce sont les communautés qui, collectivement, le créent, en sont dépositaires et le transmettent. (…) Pour rester vivant, le patrimoine culturel immatériel doit être pertinent pour la communauté, constamment recréé et transmis d’une génération à l’autre. Le patrimoine culturel immatériel est important, car il nous donne un sentiment d’identité et d’appartenance, liant notre passé à notre avenir par l’intermédiaire du présent. »