De l’artisanat à l’architecture
Centre des Métiers d’Art – Pu haapiiraa toroa rima i
Par Rangitea Wholer, enseignante en dessin au Centre des Métiers d’Art et architecte.
De l’artisanat à l’architecture
Du 11 au 14 juin, deux enseignants et douze élèves de l’université de Woodburry, à Los Angeles, sont venus au Centre des Métiers d’Art pour collaborer à un projet interdisciplinaire passionnant… Hiro’a vous le fait découvrir !
« La vie de la terre est la vie des hommes ». C’est avec ce proverbe tahitien en tête que les étudiants et professeurs du département d’Architecture de l’Université américiane de Woodburry ont entrepris un séminaire de deux semaines à Tahiti et Moorea. Celui-ci proposait dans un premier temps un travail de projet architectural sur Moorea, puis un atelier d’échange pédagogique au Centre des Métiers d’Art, auquel les élèves de 1ère année et 2ème année ont activement participé. Ensemble, ils ont conçu et réalisé des appareils de mesure multifonctionnels originaux et répondant aux critères de leur programme d’architecture : fabriquer à partir de matériaux naturels locaux (pandanus, nacre, ni’au, coquillage, bois, etc.).
Les quatre jours d’atelier, avec l’aide de chaque enseignant, ont été l’occasion de confronter les projets théoriques des étudiants américains à la réalité des matériaux disponibles, et surtout des savoir-faire artisanaux des élèves du Centre. Durant cette expérience artistique et créative, tous ont dû s’adapter, corriger, affiner et mettre en œuvre leurs idées en équipe en se basant sur les capacités de chacun, en les coordonnant au plus près. « Cela a permis de tisser des liens entre des individus pratiquant des disciplines artistiques et techniques différentes, mais partageant une même méthodologie de travail : la recherche, l’expérimentation et la démarche contextuelle : s’informer sur les spécificités du lieu dans lequel on vit – ou duquel on vient – et s’adapter, explique Rangitea Wholer, enseignante en dessin au Centre des Métiers d’Art et architecte de formation.
Parole à Ingalil Walhoos-Ritterl, directrice du Département d’Architecture de l’Université de Woodburry.
Pourquoi venir dans le Pacifique entreprendre un projet architectural avec vos étudiants ?
L’un des objectifs de notre programme universitaire est d’enseigner aux élèves une manière sensible d’appréhender l’espace, d’étudier le contexte (physique, social, économique, culturel), la spécificité d’un lieu et de l’intégrer dans la conception du projet architectural. C’est pourquoi nous nous intéressons aux sociétés non-occidentales, qui constituent un lieu propice à nos investigations. Grâce aux subventions accordées par l’Université de Woodburry, nous avons la possibilité d’organiser un voyage de quelques semaines tous les 2-3 ans. Nous nous sommes déjà rendu en Corée, en Chine, en Inde, en Amérique du Sud… Cette année, nous avons travaillé une semaine en Nouvelle-Zélande avant de venir à Tahiti.
C’est d’ailleurs la 3ème fois que vous venez en Polynésie française…
Nous aimons ce pays ! A chacune de nos venues, nous abordons des problématiques différentes. En 2010, nous avions travaillé à Huahine sur un projet qui s’inspirait des matériaux locaux pour concevoir l’île entière comme un musée. Il y a deux ans, nous avions étudié le « mode d’habiter » des Polynésiens et proposés des alternatives au Fare bioclimatique de l’OPH. Cette année, notre projet s’est orienté sur la conception d’un centre de recherche à Moorea et la réhabilitation de l’Hotel Cook’s Bay.
Quel est l’objectif de votre rencontre avec le Centre des Métiers d’Art ?
Lors de notre première venue, nous avons rencontré Viri Taimana, directeur de l’établissement, avec qui nous nous sommes très vite entendus. Nous lui avons proposé de faire collaborer nos étudiants avec les élèves du Centre sur un projet commun ; en l’occurrence la construction d’instruments de mesure. L’expérience fut très riche d’enseignement, c’est pour cela que nous la renouvelons à chaque passage.
Qu’attendez-vous de cette démarche coopérative ?
Nos étudiants Américains ont une manière de penser objective, très cartésienne, tandis que les élèves du Centre sont beaucoup plus intuitifs, émotionnels, nous souhaitons que nos étudiants adoptent plus souvent cette sensibilité dans leur travail : la connaissance de la matière, la prise de conscience de leur environnement, l’utilisation des ressources locales. Durant ce projet, ils réunissent tous ensemble leurs compétences, analytiques d’une part et techniques d’autre part. Ils échangent, communiquent et c’est une des plus grandes valeurs.
Quel est la prochaine étape de votre échange ?
Les élèves et enseignants du Centre nous ont présenté au Musée de Tahiti et des îles leur exposition d’art contemporain, « Manava ». Celle-ci nous a séduite, et nous aimerions qu’une partie des oeuvres soit présentée dans la galerie d’art universitaire, située à Hollywood. Par ailleurs, nous espérons que les élèves du Centre pourront à leur tour nous rejoindre à Los Angeles. Pendant deux semaines, nous organiserions des ateliers informatiques (dessin 2D/3D, animation 3D) où ils pourront approfondir leur connaissance des outils digitaux et des logiciels de modélisation.
Légende photos « instrument pour filtrer le sable 1 &2 »
Kahara, Keziah (élèves en 1ère année du CMA) et Cassie (étudiante de Woodburry) ont réalisé un instrument dont l’utilisation permet à la fois de faire des mesures et de répondre à une pratique culturelle polynésienne. Elles ont proposé un travail autour de l’utilisation du sable en tant que matériau d’aménagement et comme remède contre les « coups de froid ». Les étudiantes ont utilisé un morceau de bambou et y ont placé des tamis successifs avec des diamètres de trous différents. Ces tamis permettent de filtrer le sable afin d’obtenir celui au grain souhaité et débarrassé de ses impuretés. Le sable obtenu peut également être utilisé chaud sur le corps des pêcheurs lorsque ceux-ci rentrent de leur activité de nuit pour se réchauffer.