Torea Colas, président de l’association des Amis du Musée de Tahiti et des Îles
« La culture donne une âme à l’industrie touristique »
Torea Colas est le président de la toute nouvelle association des Amis du Musée de Tahiti et des Îles. Une initiative née de plusieurs rencontres mais surtout d’un constat : pour évoluer, tourisme et culture doivent interagir.
Comment est née cette association des Amis du Musée de Tahiti et des Îles ?
C’est d’abord l’histoire d’une rencontre entre les gens du tourisme et les gens du Musée : Tara Hiquily, Manouche Lehartel et Theano Jaillet. L’idée est d’œuvrer ensemble pour l’enrichissement du patrimoine, l’éducation et la création de produits touristiques culturels.
Pourquoi un musée devrait-il recourir à une association pour développer ce type d’actions ?
Les statuts et périmètres d’action des institutions peuvent parfois être contraignants pour la conduite de certains projets utiles à l’établissement, mais dépassant ses prérogatives ou moyens financiers. Il est donc intéressant pour notre musée de pouvoir s’appuyer sur une association afin de lui apporter des compléments techniques ou financiers.
Sur quelles ressources l’association va-t-elle s’appuyer ?
Nous allons faire appel aux entreprises privées dans un premier temps, car les dons qu’elles feraient peuvent être défiscalisés tout en servant une cause porteuse d’avenir. Les particuliers sont également les bienvenus, ils peuvent faire des dons financiers, en nature (objets) ou bien apporter un soutien humain bénévole. Nous invitons d’ailleurs toutes les personnes souhaitant soutenir notre démarche à nous rejoindre.
Quelle est la première action que vous allez mener ?
Notre première action visera à créer une exposition participative dans le but de réunir des objets issus de collections familiales et en tous cas privées. Cette exposition sur le thème de « la préservation et la transmission » répondra à plusieurs objectifs : réunir et valoriser même temporairement un patrimoine peu connu, voire certainement méconnu, et le partager avec les nouvelles générations et nos visiteurs.
Tu es directeur marketing d’Air Tahiti Nui, y a t-il un rapport direct avec ce projet ?
Air Tahiti Nui est un pilier du développement touristique de nos îles et il paraît indispensable, à ce titre, que la compagnie s’implique dans des projets qui participent à organiser le secteur dans une approche certes économique, mais également sociale et culturelle. Une collaboration plus étroite entre le musée et la compagnie est née 2012. Cette motivation professionnelle s’est ensuite enrichie d’un engagement personnel car après presque 10 ans à œuvrer pour notre industrie, il m’est apparu indispensable de créer une plateforme à même de définir ce que pourrait être notre tourisme pour les prochaines années.
Quel rapport avec la culture et plus particulièrement le musée ?
Dans la réflexion marketing, la définition des attributs clés d’une destination définissant son positionnement et son image dans un environnement concurrentiel est primordiale. En Polynésie, nos attributs naturels – soleil, plages, lagons, cocotiers – sont communs à d’autres destinations. Les seuls éléments capables de nous distinguer réellement restent donc notre peuple et notre culture. Cela signifie que le développement de notre tourisme doit être très logiquement rattaché à la question de la place de la culture et de l’Homme dans cette industrie. Il est important de reconnaitre en premier lieu que la culture donne une âme à notre industrie et qu’en échange, le tourisme offre des débouchés économiques à la culture. Pour donner corps à ce principe, il m’a semblé que le musée était une plateforme idéale pour travailler en un même lieu sur les thèmes de la préservation du patrimoine, de la transmission du savoir et de la recherche de débouchés économiques par la création de produits touristiques.
Dans la plupart des autres destinations, la culture est naturellement mise en avant tandis qu’ici, c’est comme si on devait prouver et justifier qu’une culture existe véritablement…
La culture d’un pays est évidente pour les touristes qui en ont conscience et qui la recherche activement, mais pour la grande majorité le lien entre tourisme et culture est beaucoup moins évident quand les produits culturels n’existent pas ou peu. Une cascade, une plage ou même un site archéologique ne sont pas des produits touristiques en eux-mêmes, mais le guide payé pour accompagner le visiteur transforme ces sites en produit. J’ai le sentiment qu’en Polynésie on vit beaucoup la culture d’abord pour soi. Sans pour autant la travestir et la dévaloriser, la notion de partage pour un bénéfice mutuel me parait également importante à intégrer.
Comment une association liée au musée pourrait-elle résoudre des problématiques d’une telle envergure ?
C’est une vision sur le long terme. Une problématique centrale est celle de la transmission. La jeunesse éprouve un certain désintérêt pour la culture car elle a d’autres préoccupations : se former à un métier, gagner sa vie, fonder une famille, etc. De l’autre côté, les détenteurs du savoir sont ceux qui ont déjà vécu leur vie professionnelle et peuvent consacrer du temps à autre chose, à l’histoire et au patrimoine notamment. Il manque une courroie de transmission afin de faire converger ces intérêts. A travers le musée et cette association, nous souhaitons créer ce relais.
De quelle manière y parvenir ?
Il faut faire en sorte que les jeunes puissent financièrement vivre de leur culture. Mon intention n’est pas de rentrer en opposition avec ceux qui pensent que la culture ne se monnaye pas… Sous un angle plus touristique, je dirais que la culture n’est intéressante que lorsqu’elle est partagée, la culture « pour soi » est un renfermement souvent stérile. Maintenant, tout ça c’est de la théorie qu’il faut arriver à rendre tangible autour d’un projet commun. Juste à côté de nous, la Nouvelle-Zélande et Hawaii ont réussi à trouver des solutions avec, par exemple, la création de centres culturels. En Polynésie française, nous avons un patrimoine important qui ne demande qu’à être mis en avant. On réduit bien souvent notre culture au seul Heiva – formidable, du reste – mais notre héritage culturel est bien plus dense et renferme de quoi également faire vivre notre jeunesse, leur donner de la fierté même pour ceux qui n’ont pas eu la chance de suivre un parcours scolaire. Mais pour cela, il faut au moins qu’ils apprennent qui ils sont, qu’ils apprennent leur histoire et qu’ils puissent raconter cette histoire à des gens, les touristes, qui sont prêts à payer pour les connaitre eux et leur histoire.
Quelle est ta définition de la culture ?
Une culture vivante, qui préserve, s’inspire du passé et le respecte mais qui projette l’individu vers l’avenir, dans une volonté d’accomplissement personnel et d’échange avec l’autre.