Coquillages polynésiens, qui êtes-vous ?- Octobre 2012
DOSSIER
Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manaha
Rencontre avec Théano Jaillet, directrice du Musée de Tahiti et des Iles et Jean Letourneux, naturaliste spécialiste des mollusques de Polynésie française.
Coquillages polynésiens, qui êtes-vous ?
Impossible de rester insensible à la beauté et à l’infinie variété des coquillages, ces sculptures naturelles que petits et grands se plaisent à admirer le long des rivages, des récifs ou dans le lagon. Mais que sait-on d’eux, de leurs formes et couleurs inouïes, de leur mode de vie ? Le Musée de Tahiti et des îles possède dans ses réserves une belle collection de coquillages provenant des archipels polynésiens mais aussi du reste de l’Océanie : Philippines, Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Australie… Ces espèces – des plus grandes aux plus minuscules, parfois rares – permettent de s’interroger sur ce patrimoine vivant en perpétuelle évolution, au rythme des cycles environnementaux, mais aussi des découvertes et des recherches.
Les coquillages ont toujours joué un rôle important dans la vie des Polynésiens, autrefois comme source alimentaire nécessaire, comme matière première pour la fabrication d’outils ou d’ornements et aujourd’hui dans l’économie, avec la nacre et la perliculture.
Il existe une variété de près 2 500 mollusques actuellement répertoriés en Polynésie française, groupe auquel appartiennent les coquillages. Des profondeurs de l’océan aux abords du récif, sous le sable ou autour des coraux, c’est un univers à part entière que celui des coquillages de Polynésie, au règne complexe et passionnant.
Diversité de coquillages…
Les mollusques comprennent 7 classes dont 5 sont représentées dans les eaux de Polynésie Française : les polyplacophores (chitons – mama en marquisien), les gastropodes (cônes, porcelaines…), les bivalves (bénitiers, nacres…), les céphalopodes (pieuvres et calamars) et les scaphopodes (dentaliidae ou dentales). Les plus communément admises comme coquillages étant les gastropodes et les bivalves.
La grande majorité des coquillages présents en Polynésie française se retrouve également dans le reste de l’Océan Pacifique ainsi que dans l’Océan Indien ou en Mer Rouge.
« Le taux d’endémisme* des mollusques de Polynésie française est peu élevé, le plus important se trouve aux Marquises avec environ 10% de mollusques endémiques », explique Jean Letourneux, naturaliste passionné qui les étudie depuis de nombreuses années**.
Si Jean est fasciné par la variété de formes et de couleurs de ces œuvres d’art naturelles, il porte un intérêt tout particulier aux bivalves et aux micro-mollusques, d’une taille parfois inférieure à 1mm ! Il les recherche dans les sédiments marins de tous les archipels de Polynésie, prélevés depuis les rivages jusqu’à cent mètres de profondeur, avant de les étudier avec son microscope. « Le minuscule intéresse peu de gens justement parce qu’il n’est pas spectaculaire, c’est un domaine en friche où il reste beaucoup à découvrir ! La complexité de ces minuscules animaux est fascinante. »
…et des modes de vie
Les coquillages – et à plus forte raison l’ensemble des mollusques – ont conquis tous les habitats possibles : du littoral jusque dans les abysses, en passant par les récifs et le fond des lagons. Alors que certains dérivent ou nagent à la surface des océans, d’autres vivent parmi les algues ou les éponges, d’autres sont enfouis dans le sable ou se déplacent à sa surface, d’autres sont fixés au corail ou se déplacent sur celui-ci, d’autres encore creusent le calcaire corallien, enfin certains sont parasites ou attachés à d’autres organismes marins tels les oursins. Et sous la coquille, c’est la même diversité. Végétariens ou carnivores, perceurs de coquilles, « empoisonneurs », ils ont perfectionné de multiples moyens pour s’alimenter. Les nacres par exemple filtrent l’eau pour se nourrir du plancton, tandis que les chitons, les nérites ou les trocas s’alimentent d’algues. Quant aux murex et aux cônes, ils sont carnivores. Le cône est muni d’une arme redoutable ; une sorte de trompe qu’il déploie et par laquelle il peut propulser une fléchette empoisonnée, qui se plante dans la chair de la proie (poisson, ver ou autre mollusque). Son venin peut, chez certaines espèces (cône géographe, cône tulipa, cône textile…), représenter un danger mortel pour l’homme, il est donc fortement conseillé de ne pas les toucher vivants ! Ce venin contient des substances actives qui ont le pouvoir d’agir sur les centres nerveux de leurs proies et de les paralyser ; il fait actuellement l’objet de programmes de recherches internationales en vue de leur utilisation possible en médecine.
Une raréfaction des espèces
Les pieuvres, les crabes, les étoiles de mer, certains poissons et d’autres mollusques sont les prédateurs naturels des coquillages, mais le plus important d’entre eux est, comme trop souvent, l’homme. Outre la récolte abusive, le commerce des coquillages qui fait le bonheur des collectionneurs et la pêche à des fins alimentaires, les coquillages sont menacés par une pollution de plus en plus importante qui les asphyxie. Le réchauffement climatique serait aussi un phénomène sérieux pour ces animaux, probablement contraints de rechercher de nouveaux habitats aux températures plus propices. Certaines espèces polynésiennes se sont d’ailleurs extrêmement raréfiées : c’est le cas du pu (Triton – Charonia tritonis), du pu tara (Casque – Cassis cornuta), de certaines espèces de porcelaines et d’autres encore.
Les coquillages ne sont qu’un exemple des nombreux groupes d’animaux qui constituent le monde vivant sous-marin. Comme les autres groupes, ils sont indispensables au fonctionnement de l’ensemble. Ce patrimoine naturel fait partie de la diversité et de la richesse de notre environnement et contribue à le rendre unique. A nous de le protéger et de le conserver en respectant la réglementation, qui a pour objectif de les sauvegarder.
Quid de la collection du Musée de Tahiti ?
La collection de coquillages actuellement au Musée de Tahiti provient de la collection de la Société des Etudes Océaniennes, initiée au début du 20ème siècle par le frère Alain et complétée depuis. Elle se caractérise par des pièces de grande taille, dont notamment un casque (pu tara – Cassis cornuta) de 32 cm et un bénitier (Pahua – Tridacne) de 42 cm de longueur ! En 1987, le Musée a reçu en don la collection d’Yves Malardé qui comprend de très intéressants et de très rares spécimens, qui ne viennent pas tous de Polynésie française. Ces ensembles déterminés par le professeur Georges Richard, du laboratoire de Macologie de l’EPHE***, enrichissent et complètent la collection qui compte aujourd’hui 1685 spécimens, représentant près de 585 espèces dont certains endémiques.
ENCADRES
Comment se fabrique la coquille ?
Au départ, il y a un œuf, qui va devenir une larve ; celle-ci élabore ensuite une coquille embryonnaire appelée protoconque. Schématiquement, l’animal secrète sa coquille petit à petit, à partir du calcium dissout dans l’eau de mer. Chaque espèce l’enroule à sa façon en fonction de son gène, qui détermine formes et couleurs, ces dernières étant déposées par les pigments du manteau de l’animal. Certaines coquilles grandissent et grossissent durant plusieurs dizaines d’années, à l’instar de quelques espèces de bénitiers comme le Tridacna maxima (pahua), que l’on trouve encore dans les lagons des atolls paumotu. Ils peuvent atteindre des dimensions importantes (Tridacna squamosa : 40 cm) car ils ont une durée de vie d’environ 50 ans. Le bénitier géant (Tridacna gigas) est d’ailleurs le plus gros coquillage au monde. Sa coquille peut atteindre 1,40 m et peser plus de 250 kg. On en trouve encore à travers tout le Pacifique et jusqu’aux Iles Cook, mais il se fait de plus en plus rare en raison de la surpêche. L’espèce a d’ailleurs totalement disparu de Polynésie française.
Les coquillages endémiques
– Le Lambis crocata pilsbryi des Marquises, plus communément connu sous le nom de « 7 doigts » ou pu mako mako. Il existe des Lambis dans le tout le Pacifique mais celui des Marquises est unique de part sa taille, sa forme et la longueur de ses épines. Il est aujourd’hui considéré comme une espèce à part entière.
– L’Erosaria bernardi est une petite porcelaine endémique de Tahiti. Blanche sur le ventre, son dos est beige tacheté de blanc. Elle vit à environ 50 mètres de profondeur.
Les coquillages menacés
Parce qu’elles se font de plus en plus rares dans les eaux polynésiennes, 4 espèces sont protégées : le triton (pu), les deux types casques (pu tara) et la moule géante (o’ota). Il est interdit de les pêcher.
Quant aux trocas, burgau, huîtres perlières et bénitiers, leur pêche est réglementée.
Les coquillages importés
Parmi eux, on peut citer le troca (Tectus niloticus) et le burgau (Turbo marmoratus), tous deux importés dans les années 1960 du Vanuatu pour leur intérêt économique. Leur nacre est par exemple utilisée dans l’industrie vestimentaire pour fabriquer les boutons.
Les individus se sont bien adaptés, notamment dans le lagon de Tautira. On les trouve maintenant, après transplantation, sur tous les récifs des îles de la Société, ainsi que dans tous les archipels sauf aux Marquises. A l’époque, une petite entreprise de Papeete (Ets Servonnat) transformait la nacre des trocas en boutons pour le commerce local et l’exportation. Depuis, elle a été largement supplantée par le plastique. Actuellement, les exportations de nacre se font essentiellement vers l’Asie.
La pêche de ces deux coquillages est réglementée par des campagnes de ramassage, la taille des individus et des quotas à respecter.
Zoom sur…
Le Triton (Charonia tritonis – pu)
Indissociable de la culture, le pu était utilisé comme instrument de musique à vent.
Il s’agit du plus grand gastropode de Polynésie. C’est aussi le plus redoutable ennemi de la taramea, (Achantaster planci), la fameuse étoile de mer épineuse dont il se nourrit. La récolte trop intensive du Triton a contribué à la prolifération de l’étoile de mer qui ravage épisodiquement certains récifs car elle se nourrit, quant à elle, de corail vivant…
Le Casque (Cassis cornuta – pu tara)
Il vit enfoui dans le sable en période de repos et ne s’aventure à découvert que pour chercher les oursins qu’il consomme. Devenue rare dans les lagons, cette espèce est aujourd’hui protégée et sa récolte désormais interdite.
La « moule » géante (Atrina vexillum – o’ota)
Elle vit plus ou moins enfouie dans les sédiments vaseux. Elle est devenue rare en raison d’une surconsommation alimentaire. C’est également une espèce protégée et sa pêche est interdite.
* Se dit d’une espèce qui n’existe que dans une zone géographique donnée.
** Jean Letourneux collabore actuellement à la réalisation d’un ouvrage sur les mollusques de Polynésie avec trois autres spécialistes locaux. Il présentera plus de 2 000 espèces et bénéficie de l’appui de plus de 60 chercheurs à travers le monde, dont le professeur Philippe Bouchet, du Museum d’Histoire Naturelle de Paris, ainsi que de Bernard Salvat, fondateur du CRIOBE de Moorea et aujourd’hui professeur émérite à l’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes).
*** Laboratoire de Malacologie de l’EPHE : branche scientifique consacrée à l’étude des mollusques.