cook 1.2.3. Voyages vers l’inconnu – Janvier 2013
DOSSIER
Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manaha
Rencontre avec Tehea Lussan et Manouche Lehartel, co-commissaires de l’exposition et Michael Koch, scénographe et ethnologue.
cook 1.2.3.
Voyages vers l’inconnu
James Cook…
Son nom rime avec découvertes et 230 ans après sa mort, sa célébrité n’a pas faibli. Incarnant « le » navigateur par excellence, il suscite toujours autant d’admiration. L’exposition « cook 1.2.3. », actuellement au Musée de Tahiti et des îles, propose de faire la lumière sur ce personnage hors norme et ses expéditions dans le Pacifique.
Tehea Lussan et Manouche Lehartel, co-commissaires de l’exposition et respectivement professeur de français et muséologue, en compagnie de Michael Koch, scénographe et linguiste, travaillent ensemble depuis un an sur cette exposition. Un an d’intenses recherches, lectures et dialogues qui leur a donné la sensation de côtoyer le capitaine Cook de près, tel un compagnon de route avec lequel ils ont passé leurs journées et plusieurs de leurs nuits…
« L’idée de départ était de montrer au public les nombreuses gravures réalisées lors des voyages de Cook et de les situer dans le temps et la géographie, explique Tehea Lussan, à l’origine de ce projet qui devait coïncider avec le transit de Vénus le 5 juin dernier*. Elles sont essentielles à la compréhension de l’histoire de l’Océanie, car il s’agit des premiers témoignages que nous possédons. » Au fil de la préparation, les approches se sont naturellement multipliées : impossible de présenter ces gravures sans aborder la vie des hommes, les conditions de voyage, l’esprit du siècle des Lumières, la cartographie, puis toutes les découvertes scientifiques et culturelles les entourant.
Le résultat est à la hauteur de leur travail et la mise en contexte de l’exposition, globale et pertinente. Le visiteur fera un véritable bond de 200 ans en arrière, au temps où une bonne partie du monde n’avait jamais été explorée, où les moyens de communication étaient quasi inexistants, où les conditions de voyage étaient extrêmes, où les équipements étaient, au regard d’aujourd’hui, rudimentaires, où la moindre inattention était fatale… L’inconnu, le danger et le manque sont permanents mais pour autant, les équipages parviennent à réaliser de véritables exploits grâce à la discipline et la rigueur imposées par le capitaine Cook, ainsi que par la soif de connaissances habitant les scientifiques qui prenaient part aux périples. Ces expéditions scientifiques pluridisciplinaires sont devenues d’ailleurs un modèle de référence.
De quoi passionner les visiteurs qui vivront à travers cette exposition d’authentiques aventures, « mieux que Koh Lanta », prévient Tehea ! Manouche Lehartel, co-commissaire de l’exposition, avoue s’être totalement imprégnée des récits de James Cook. « J’ai plongé avec fascination dans son histoire et ses carnets, me poussant à dépasser le stade de ce que tout le monde dit au sujet de Cook pour éviter les raccourcis, et offrir au public un panorama documenté et argumenté de ce que furent ses trois voyages. »
L’exposition : suivez les cartes
Comment les expéditions de Cook, fil rouge de l’exposition, ont-elles vu le jour ? Comment se sont-elles organisées ? A quoi ressemblait la vie à bord ? Qui sont les scientifiques qui embarquent avec Cook ? Où vont-ils, que découvrent-ils, qui rencontrent-ils ? A quoi ressemblent leurs observations ? Quels objets ramènent-ils ?
Ce sont toutes ces questions, et bien d’autres encore, qui ont guidé les organisateurs de l’exposition. « Nous avons présenté les voyages de Cook selon une logique géographique », explique Michael Koch, linguiste et scénographe. Hawaii, Marquises, Tahiti, îles Cook, Tonga, Nouvelle-Zélande, Australie, Vanuatu, Nouvelle-Calédonie, mais aussi Antarctique : chaque escale est mise en lumière par des gravures, des photos, des peintures, des cartes, des objets et de courts textes, « qui sont toujours reliés au présent », indique Michael. Ainsi, on peut découvrir le surf à ses origines, la pirogue, la danse, le haka maori, le tatouage, etc. L’exposition est conçue comme un échange permanent entre hier et aujourd’hui. Elle consacre également une place de choix aux missions scientifiques entreprises : astronomie, sciences naturelles et cartographie, la science a toute sa place à bord comme à terre. Les voyages sont interdisciplinaires à cette époque « où l’intelligence et le courage distinguent les grands hommes plus que leur ascendance ou leur fortune, note Tehea. James Cook est fils de fermier, il s’initie seul aux mathématiques et à l’astronomie. Parkinson et Green sont d’origine tout à fait modeste. Tous sont des maîtres dans leur discipline ». Cook voyage en effet avec les plus grands scientifiques de son temps : lors du premier voyage, il est accompagné de Charles Green, assistant à l’observatoire de Greenwich, Joseph Banks, botaniste, Daniel Solander, naturaliste, et Sydney Parkinson, peintre naturaliste. La seconde expédition embarque le naturaliste Johann Reinhold Forster et son fils Georges, tout juste 17 ans, l’astronome William Wales et le peintre William Hodges. Pour le troisième et dernier tour du monde, ce sont les astronomes Joseph Billings et William Bayly ainsi que les peintres John Webber et William Ellis qui participent à l’aventure. Des noms qui résonnent encore jusqu’à aujourd’hui.
Réhabiliter l’histoire
Admiré, Cook est aussi décrié car, ayant fait connaître les îles du Pacifique au monde occidental, il est parfois perçu comme celui par lequel la colonisation arriva.
Celle-ci n’interviendra réellement qu’au siècle d’après mais surtout, les missions du capitaine, si elles ont certes laissé des séquelles, ne semblent pas avoir contribué à détruire les cultures et les croyances des populations. « Il y aurait beaucoup à dire et à redire à ce sujet, admet Manouche, mais ce n’est pas notre propos. Cook essaye toujours d’établir le dialogue et d’instaurer des échanges de marchandises qui conviennent aux deux parties. Malgré ses bonnes résolutions, il y a des morts, des deux côtés, mais plus souvent et plus nombreux chez les indigènes compte tenu de la supériorité des armes des visiteurs. Les explorateurs ont un besoin vital de ravitaillement en eau, bois et nourriture et la collaboration des indigènes peut satisfaire rapidement cette exigence. Ce ravitaillement conditionne la survie des hommes, l’exécution des missions et le retour au pays ; la fraternisation est la méthode privilégiée, l’intimidation est l’alternative, l‘usage des fusils et canons est l’ultime recours. James Cook a démontré de grandes qualités en tant que capitaine et gagné l’admiration de ses hommes. Le plus souvent, il observe une attitude de respect à l’égard des insulaires et il s’intéresse à leurs us et coutumes qu’il consigne scrupuleusement. D’autre part, il améliore la protection sanitaire des équipages en prenant conscience que la lutte contre le scorbut passe par une alimentation correcte et une meilleure hygiène. Enfin, les milliers d’objets ramenés par Cook en Europe ont été troqués ou offerts. Aujourd’hui, ils sont les derniers témoignages des civilisations du Pacifique vierges de l’influence de l’Occident. »
Tehea de poursuivre « il y a à l’époque un véritable ‘cours’ du change entre les Européens et les Océaniens : à Tahiti par exemple, la population apprécie d’échanger des objets ou des victuailles contre du fer et des plumes rouges de Tonga, tandis qu’au Vanuatu, les tapa de Tahiti ont une grande valeur. Il en va ainsi pour chaque île qui affiche clairement ses préférences, desquelles Cook tient compte à tous ses voyages. D’autre part, le capitaine réalise que les îles du Pacifique ne sont pas ‘isolées’, il existe un réseau d’influences et d’échanges déjà très important. Il a compris que les populations de ce vaste océan ne formaient qu’un seul et même peuple, relié par l’Océan et partageant des similitudes physiques, linguistiques, religieuses, culturelles, etc. »
Encadré
Zoom sur les voyages de Cook
D’exploits inégalés…
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1768-1771
Angleterre, 26 août 1768. Les voiles du HMS** Endeavour sont gonflées par le vent du port de Plymouth. La marée n’attend pas, c’est l’heure : le lieutenant James Cook donne le départ d’un périlleux et merveilleux voyage autour du monde. « Je pars tenter certaines découvertes dans une vaste étendue inconnue », précise-t-il modestement quelques jours avant d’appareiller.
L’expédition quitte la mer du Nord direction Tahiti, une île du Pacifique Sud « découverte » il y a moins d’un an par le capitaine anglais Samuel Wallis. Pour rallier ce point du globe, il faut traverser l’Atlantique, franchir la pointe de l’Amérique du Sud puis naviguer dans l’Océan Pacifique. Les cartes de cet océan sont peu précises. Depuis Tahiti, Cook doit observer un phénomène céleste rare, le transit de Vénus. Il s’agit du passage de la planète Vénus, visible comme un disque noir, devant le Soleil. Il effectue également des mesures astronomiques qui doivent permettre, à son retour en Europe, de calculer la distance entre la Terre et le Soleil, ainsi que la taille du système solaire. Outre ces observations astronomiques et ses relevés cartographiques, Cook est le premier Européen à poser le pied en Nouvelle-Zélande en 1769. Sa mission est également de chercher le légendaire continent austral, la Terra Australis Incognita, censée regorger de merveilles, mais qu’il ne trouve pas.
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1772 – 1775
A peine un an plus tard, Cook reçoit le commandement de reprendre la mer pour une deuxième expédition. Il est toujours chargé de trouver le grand continent austral. Cette fois-ci, il part avec deux navires : le Resolution et l’Adventure. Le capitaine s’aventure dans l’océan glacial antarctique, à des latitudes sud jamais atteintes auparavant. Il ne découvre aucune terre. Sur l’île de Huahine, Cook rencontre Omaï, qui l’accompagnera jusqu’en Europe où il restera 2 ans, avant de rentrer à Huahine lors de la troisième expédition. Lorsque Cook rentre en Angleterre en 1975, il prouve que le grand continent austral n’existe pas mais a découvert encore de nouvelles terres, dont la Nouvelle-Calédonie. Après deux expéditions, il est censé rester à terre, mais il œuvre pour repartir à la tête d’une 3ème expédition qui ramène Omai dans son île.
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1776 – 1780
Lors de son troisième voyage, Cook a pour mission de chercher un passage maritime plus court entre le Pacifique Nord et l’Atlantique, le passage du Nord-Ouest. Celui-ci constituerait un raccourci pour aller en Asie de l’Est, sans devoir passer par le dangereux Cap Horn. Il découvre les îles Sandwich en janvier 1778 puis navigue au nord, longeant les côtes du Canada et de l’Alaska à la recherche du fameux passage. L’hiver approchant, il revient aux îles Sandwich, trouve Maui et mouille à Hawaii en janvier 1779. Ses bateaux rappellent aux insulaires les îles flottantes des dieux hawaïens. Pour cette raison, Cook et ses hommes sont reçus comme tel et couverts de présents. Les cales sont pleines, Cook décide de reprendre la mer et la recherche du passage du Nord-Ouest.. Peu après son départ, un mât du Resolution se brise lors d’une tempête et il doit rebrousser chemin pour réparer. Ce retour déplaît beaucoup aux Hawaïens. Ils sont maintenant certains que Cook n’est pas un dieu. Une succession de vols enveniment la situation. Cook descend à terre pour prendre des indigènes en otage. Dans la confrontation qui s’en suit, Cook abat un homme et se fait lui-même tuer. Les navires regagnent l’Angleterre le 22 août 1780, commandés par Gore et King, sans avoir trouvé un passage navigable.
… en découvertes exceptionnelles
À l’époque de James Cook, les scientifiques se sont donnés pour mission de lutter contre les superstitions et les croyances dogmatiques. C’est le siècle des Lumières. Sur le navire de Cook, les naturalistes font partie de l’équipage. Ils ramènent en Europe des croquis minutieux et des descriptions d’animaux et de plantes. De la première expédition, ils rapportent 3 000 espèces de plantes nouvelles, dont l’acacia, l’eucalyptus et le mimosa. James Cook et ses compagnons réunissent au cours de ces trois voyages des milliers d’objets fabriqués par les populations autochtones. Ces objets ont été étudiés puis classés et conservés dans des musées ou des collections privées.
Les peintres et scientifiques qui participent aux voyages ont pour mission de décrire et de dessiner tout ce qu’ils ne connaissent pas. Les innombrables planches de dessins font découvrir des paysages exotiques, des hommes et des coutumes « étranges », des plantes et des animaux insolites aux Européens, qui sont très curieux de savoir ce que Cook et ses hommes ont vu et vécu au cours de leurs périples. Les livres illustrés et les récits de voyages sont de véritables best-sellers, traduits dans plusieurs langues et rapidement épuisés.
L’exploration approfondie de l’océan Pacifique menée par James Cook a contribué à une bien meilleure connaissance cartographique, botanique, ethnologique, en bref scientifique, des îles océaniennes, en même temps qu’elle a eu pour conséquence l’agrandissement du territoire de l’Angleterre outre-mer. Son journal de bord relève à la fois d’une chronique précise et vivante, et d’une description rigoureuse des îles et de leurs habitants.
Encadré
Sur et autour de l’exposition
Réalisés entre 1768 et 1780, les voyages de Cook caractérisent l’esprit des Lumières et marquent le début des grandes explorations scientifiques. À travers 70 gravures tirées des éditions originales de ses récits, le Musée de Tahiti vous invite à suivre ce long périple dans le Pacifique. Les gravures proviennent de collections privées réunies par les commissaires. Elles sont accompagnées de kakemonos explicatifs et d’illustrations complétant leur compréhension (reproductions de peintures, de croquis, de cartes, etc.).
Une vingtaine de précieux objets issus des collections du Musée de Tahiti et des îles sont exposés : certains ont été collectés lors des voyages de Cook, comme le tabouret d’Omai, ou datent de la même période (soit de la fin du 18ème siècle) et sont originaires des îles visitées par Cook : pahu des Marquises , fragment de panier des Tonga, Hei tiki en jade de Nouvelle-Zélande, sac à pierres de fronde de Nouvelle-Calédonie,…Une maquette de l’Endeavour est également présentée.
Grande première en Polynésie
Avec n’importe quel téléphone portable, vous pourrez obtenir gratuitement et en trois langues (français, tahitien et anglais) un audioguide résumant les temps forts de l’exposition. Il s’agit de la toute première application de la sorte en reo tahiti ! Un progrès culturel qui a pu voir le jour grâce à l’implication des partenaires de cette exposition : OPT, Vini et Mana.
Pour bénéficier de l’application, c’est simple : avec un téléphone classique, composez le 86 90 15 (français), le 86 90 16 (reo tahiti) ou le 86 90 17 (anglais), entrez le nombre à deux chiffres (09) et suivez les instructions. Avec un smartphone, photographiez le QR Code ou téléchargez l’application (www.museetahiti.pf/cook) et laissez vous guider.
Bonne visite à tous et n’oubliez pas vos écouteurs !
Exposition cook 1.2.3 : Pratique
– Salle d’exposition temporaire du Musée de Tahiti et des Îles
– Jusqu’au 11 mai 2013
– Du mardi au samedi, de 9h à 17h
– Entrée : 600 Fcfp / gratuit pour les scolaires et les étudiants
+ d’infos : 54 84 35 – www.museetahiti.pf – sur Facebook : Musée de Tahiti et des Îles – Te Fare Manaha
* Pour des raisons indépendantes de leur volonté, l’exposition a du être reportée.
* HMS : Her Majesty’s Ship