« Quand le paraît disparaît, l’être demeure »- Septembre 2012
10 QUESTIONS A
John Mairai
« Quand le paraître disparaît, l’être demeure »
John Mairai est un capitaine au long cours, au propre comme au figuré !
Durant sa longue carrière – de capitaine à journaliste en passant par metteur en scène – il a croqué au fil de fresques théâtrales une pléthore de personnages à la mode tahitienne. Pour son nouveau spectacle au Grand Théâtre de Maison de la Culture, John Mairai s’attaque à l’histoire de Tavi.
Peux-tu nous raconter ton actu, ce qui t’a occupé ces derniers jours ?
Des répétitions intensives depuis le mois de juin jusqu’au premier filage complet de la pièce Tavi Roi et la Loi, dont la première vient tout juste d’avoir lieu (vendredi 31 août). Il y a eu un très grand travail sur les comédiens, mais j’ai la chance d’être assisté par ma compagne Christine Bennett qui enseigne elle-même le théâtre dans les locaux du Conservatoire. C’est d’ailleurs un de ses comédiens, Hilton Ie, qui tient le rôle principal de Tavi. En même temps, je prépare la nouvelle grille de mon émission en langue tahitienne, « Faati’a mai » sur TNTV.
Parle-nous du projet de Tavi Roi et la Loi…
C’est un bébé qui a mis 29 ans à naître ! En lisant « Tahiti d’autrefois » de Bengt Danielsson, j’ai découvert l’histoire de Tavi, grand chef de Tautira, racontée par Marau Taaroa. J’ai appris en même temps qu’un finlandais, Eino Koivistoinen, avait écrit sur ce sujet une pièce intitulée « Taurua » (l’épouse de Tavi). Cette même année, une amie – Tea Hirshon – me donna à lire la version en anglais de Taurua. Je voulais alors monter « Taurua » en tahitien dans le cadre de mes activités au département Recherche et Création de l’OTAC*. Mais en fait, je n’aimais pas vraiment cette histoire telle qu’elle était racontée par Marau Taaroa et Eino Koivistoinen. J’avais l’impression que Tavi passait pour un orgueilleux, voire un couard, et que s’il avait perdu son épouse Taurua au profit de Tuitera’i le chef de Papara, c’est parce qu’il avait bien voulu la prêter comme le stipulait la loi et les coutumes de cette époque. J’ai alors vainement cherché une autre version de cette histoire vue et racontée par Tautira et non plus par les Teva, comme Marau Taaroa et sa mère Ariitaimai. J’ai décidé de réécrire cette histoire mais en faisant de Tavi mon héros tragique, victime de la Loi du prêt et de la fatalité, comme un héros des tragédies grecques. Une première version de Tavi Roi et la Loi est sortie en 1998, puis une autre en 2003 que nous devions produire. Mais les deux comédiens principaux ont abandonné la partie. J’ai mis le projet au placard, tout en y revenant de temps à autre, cherchant à découvrir ce qui, à mes yeux, n’allait pas dans ce texte pour que je le laisse en stand by de la sorte. J’ai tout repris à zéro en 2011 après un autre rendez-vous raté, celui de la « Cage aux folles », pour lequel nous n’avons pas eu les droits. Quand nous nous sommes enfin décidés à monter Tavi Roi et la Loi en mars dernier, je n’étais toujours pas convaincu que c’était là mon texte définitif. Mais avec les répétitions et le texte dans la bouche des acteurs, le texte prit une autre réalité… et je découvris « ma faille »… C’était le rôle du grand prêtre Manemane que je devais étoffer. C’est cette version que nous avons retenue. J’ai une équipe formidable avec des comédiennes et comédiens s’échelonnant presque sur trois générations : Inès Tapu et Marau Niuahiti qui furent avec moi dès 1984, dans le rôle des conteuses, moi-même dans le rôle du grand prêtre Manemane, Christine Bennett qui fait la mise en scène avec moi, Moanaura Teheiura dans le rôle de Tuitera’i, Hilton Ie pour Tavi, Hawaiana Peri et Heipua Ah-Lo, toutes deux jouant alternativement Taurua, Viri Taimana dans le rôle de Tetumanu’a, le chef de guerre de Tavi, Hitihiti Hiro pour Tevaihani, la confidente de Taurua, et le plus jeune mais non moins talentueux, Terii Chanteau, à peine âgé de 20 ans, qui joue le conteur et le messager Tereao de Tuitera’i. Nous avons aussi des tableaux où les danses jouent un rôle essentiel dans le déroulé de la pièce et c’est le groupe Toakura qui a été chargé de travailler les chorégraphies.
Comment en es-tu venu au théâtre, mais aussi au journalisme ?
Au journalisme, un peu par accident. J’étais second capitaine sur le navire « Auura Nui » en 1979 quand les armateurs firent la grève. Forcé d’être débarqué, je postulais pour un poste de reporter sportif aux Nouvelles de Tahiti. En 1982, je reprenais la navigation comme capitaine sur un remorqueur, puis Henri Hiro me sollicita pour travailler avec lui… justement dans le secteur théâtral. Je montai ma première pièce en 1983 à l’OTAC, une comédie en langue tahitienne, oeuvre commune du département Recherche et Création intitulée « Punu ou le Faussaire ». En 1984, je faisais un stage dans la troupe de Philippe Puech qui avait gagné le prix de la mise en scène au Festival Off d’Avignon. C’est vraiment à Avignon que j’ai eu le déclic. C’est dans un ancien archevêché que je posais les premières lignes de Macbeth en tahitien, après avoir vu Henri III de Shakespeare au Palais des Papes. Enorme ! A mon retour de stage je montais « Eita ia » (Le Refus) qui sera rejoué en 1989. En 1987, une tragédie « Maro putoto », le maro ensanglanté, adaptation en tahitien de Macbeth de Shakespeare. En 1992, « Temanu tane » ou le Bourgeois gentilhomme qui eut un très grand succès populaire. 1993, une comédie en plusieurs saynètes : « Amo mata ou Clins d’œil ». De 1993 à 1996, je prêtais ma plume au journal satirique L’Echo de Tahiti Nui et à nouveau comme responsable des sports pour le quotidien Tahiti Matin. En 1999, j’étais rédacteur du Magazine du Gouvernement de la Polynésie française « Reo Fenua » en langue tahitienne, avec le privilège de consacrer au moins quatre pages à des faits culturels. En 2004, les Nouvelles firent appel à moi pour produire une page hebdomadaire franco-tahitienne « Vaiara », et en cette même année je devenais chroniqueur du Heiva, et ce jusqu’à cette année 2012.
Quelle est ta définition de la culture ?
Une façon d’être…. et de paraître. Et quand le paraître disparaît, l’être demeure en principe. Un de mes amis disparus, Napoléon Spitz, avait une autre formule plus terre à terre : la culture, c’est comme la confiture, moins on en a et plus on l’étale.
Une problématique culturelle qui te tient à coeur ?
Il y en a plusieurs, mais il en est une que je souligne chaque fois que j’en ai l’occasion : la dichotomie entre l’enseignement du ‘orero dans les classes primaires qui plaît assurément aux enfants et sa disparition du cursus au secondaire. De plus, je trouve étonnant que l’on permette à des élèves de gagner des points supplémentaires au DNB et au Bac grâce à la danse, au théâtre, au surf et que sais-je encore, et que rien ne soit encore prévu pour le ‘orero. De grâce, ne confondons pas les épreuves de reo ma’ohi avec le ‘orero qui est un art à part entière.
Si demain on te donnait des crédits pour développer une action culturelle, que ferais-tu en priorité ?
Il ne faut pas rêver, n’est-ce pas le titre d’une émission… qui fait rêver ?
Quelques mots sur le Heiva 2012 ?
Je regrette que le monde de la culture et que le Jury du Heiva n’aient pas rendu un humble mais public hommage à celui que je considère comme l’artiste qui a provoqué, après Madeleine Mou’a, la seconde grande révolution dans le domaine de la danse : Coco Hotahota, qui fêtait le 50e anniversaire de sa troupe Temaeva.
Comment envisages-tu l’avenir de cette manifestation ?
Elle durera… tant que le Pays l’organisera. Que sera-t-elle dans dix ans ? Attention danger : il faut d’ores et déjà savoir définir ce qui relève du ‘ori tahiti classique et du ‘ori tahiti contemporain. Aujourd’hui, on ne sait plus si le poisson du fafaru est un perroquet de Teahupoo ou un panga du Vietnam. Je crois qu’il faut aussi réformer la constitution du Jury. Il faut d’abord nommer le Président qui constituera son équipe. Et le Président ou la Présidente devront être des visionnaires. Il faut aussi que les membres du jury soient de parfaits bilingues. Inévitablement un membre du jury qui ne parle ni ne lit le tahitien passera à côté de quelque chose.
Travailles-tu sur un futur projet dont tu voudrais nous faire part ?
On travaille sur une comédie pour 2012 : « Petea ma » – « Oh les pédales ! »
Un message pour la fin ?
Venez voir Tavi Roi et la Loi…. C’est une pièce en langue française, une tragédie aux accents raciniens pour la passion des cœurs et cornéliens pour le style du discours.
* Office Territorial d’Action Culturelle, devenue Te Fare Tauhiti Nui – Maison de la Culture en 1998.