« Le silence des objets veut dire tant de choses »
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Theano Jaillet est, depuis septembre, la nouvelle directrice du Musée de Tahiti et des Îles. Après de brillantes études axées sur l’histoire des arts, la muséologie et la conservation, c’est avec enthousiasme et modestie que Theano prend les rênes de cette institution culturelle majeure.
Comment tu as eu connaissance du poste de directeur du Musée ?
C’est Véronique Mu, alors conservatrice, qui m’en a fait part. Je la connaissais suite aux différents passages que j’ai pu effectuer auparavant au Musée de Tahiti, en tant que stagiaire en 2004 et ingénieur technique en 2006. Après avoir vécu au Mexique et en France avec mon mari, nous souhaitions justement revenir vivre à Tahiti. Autant dire que cette offre est arrivée à point nommé.
Qu’est-ce qui t’a intéressé dans cette mission, comment vois-tu ton rôle de directrice ?
J’ai toujours rêvé de travailler dans ce Musée ! Il renferme les joyaux de la culture polynésienne. Le projet de rénovation des salles d’exposition, initié par mes prédécesseurs, avance : cela permettra de redonner de l’éclat aux objets et à la muséographie qui date des années 1970. Le public, et c’est normal, en a assez de ces salles qui n’ont pas évolué depuis 40 ans ! Par la suite, j’espère pouvoir proposer un programme dynamique d’expositions avec l’équipe du Musée.
Comment en es-tu venue à t’intéresser à la muséologie et à la conservation ?
Très jeune, je me suis passionnée pour l’antiquité Gréco-Romaine. Probablement en raison de mon prénom, qui sonne tahitien mais qui est grec ! Dans la mythologie grecque, Théano est la prêtresse d’Athena à Troie et une mathématicienne disciple de Pythagore… Je suis partie après mon bac faire des études d’Histoire de l’Art à Toulouse, puis j’ai intégré l’école du Louvre où j’ai choisi de me spécialiser en Art Océanien. J’ai commencé à m’y intéresser en quittant Tahiti ! Comme si j’avais eu besoin de m’en éloigner pour prendre conscience de sa valeur. Mes études m’ont ouvert les yeux.
Qu’est-ce qui te fascine tant dans les objets océaniens ?
Je suis retournée récemment dans les réserves du Musée de Tahiti. C’est un endroit hors du monde, apaisant. Le silence de tous ces objets veut dire tant de choses ! J’ai envie de connaître l’histoire de chacun d’entre eux, ils ont tellement à nous raconter. Je les considère comme des survivants mais aussi des battants, car s’ils sont toujours là aujourd’hui c’est qu’ils devaient vraiment en avoir envie ! A nous de leur permettre de se dévoiler.
Quels sont ceux qui retiennent le plus ton attention ?
Les objets religieux : ti’i, to’o, puna… Ils sont chargés de l’histoire et des fondements de la société ancestrale. On ne peut rester insensible au fait qu’ils aient été utilisés par nos ancêtres pour incarner leurs divinités ; ce sont, pour moi, des reliques d’une rare intensité.
Quelle est ta définition de la culture ?
On dit que c’est ce qui reste quand on a tout oublié. Elle fait partie de chacun d’entre nous, contrairement à la connaissance – on « n’apprend pas » la culture comme une leçon pour le lendemain. Personnellement, je crois que j’ai véritablement compris le sens de la culture en partant de Tahiti ! A Paris, j’ai alors ressenti le besoin de m’en rapprocher, à commencer par prendre des cours de reo tahiti à la Délégation. Ceci étant, il est important de ne pas confondre culture et passé. S’il est nécessaire de faire revivre le passé, il est inutile, pour ne pas dire insensé, de vouloir revivre dans le passé.
Tu es heureuse d’être revenue vivre chez toi ?
Oui et surtout de revenir pour travailler dans ce Musée qui compte beaucoup pour moi. J’aimerais pouvoir lui être utile.
Quels sont les projets du Musée à court terme ?
Terminer la rénovation des salles d’exposition permanente est notre priorité. Montrer les collections au public sera la suivante. Le Musée renferme des trésors qu’il est important de faire découvrir aux Polynésiens ainsi qu’aux visiteurs. Nous souhaitons favoriser l’approche pédagogique pour sensibiliser les enfants à leur culture. Autrement, nous accueillons en ce moment même l’exposition Matisse, proposée par Paule Laudon et l’association Vaipuna, et l’exposition « Taiwan – Polynésie, peuplement et communauté du monde polynésien », sur laquelle l’équipe du Musée travaille depuis longtemps, sera présentée en décembre. Deux expositions que je recommande à tout le monde !
Notre dossier du mois est consacré au Hura Tapairu, concours de danses traditionnelles : un sujet qui t’inspire ?
Ce sera la première fois que je serai présente au moment du Hura Tapairu, il me tarde de découvrir l’évolution et la créativité de nos groupes de danse. Il me semble que c’est une belle alternative au Heiva.
Le mot de la fin ?
Je voudrais dire combien le Musée de Tahiti est un édifice primordial, les objets qu’il renferme sont les moteurs d’un rayonnement culturel qui ne demande qu’à s’épanouir davantage : les efforts pédagogiques pour consolider le rôle du musée auprès de la population doivent continuer.