La carte toponymique de Hiti, sauvegarder la mémoire des noms de lieux

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Pour servir la connaissance du passé et de la culture, Vairea Teissier, documentaliste au Musée de Tahiti et des Iles, s’est attelée à un travail d’envergure : collecter les noms associés à un lieu hautement prestigieux, Hiti. Explications…

 

Qu’est-ce que Hiti ?

Hiti est un territoire qui part de ‘Orohëna en suivant la vallée Punaru’u jusqu’à la pointe Nu’uroa à Puna’auia. Il est défini comme la frontière première et originelle « Te Ara o Tahiti », berceau des familles ari’i de Punaauia mais aussi de l’île de Tahiti, puisque l’origine du concept et de l’appellation Tahiti prend naissance ici même.

 

Pourquoi une recherche sur ce territoire ?

Parce que ce lieu était extrêmement prestigieux, d’une grande richesse historique et culturelle. Lorsque Hiriata Millaud a débuté son mandat de directrice du Musée de Tahiti et des Iles en 2001, elle a souhaité savoir « où » elle mettait les pieds : elle m’a sollicitée pour faire des recherches sur les noms des terres qui composent le domaine du  Musée. La toponymie est un domaine qui m’intéresse depuis plus de 25 ans, lorsque j’ai commencé à travailler au Département Archéologie du CPSH*. On débutait alors l’inventaire des vestiges archéologiques de Polynésie. Un travail de sauvegarde urgent et nécessaire mais parfois frustrant, car cet inventaire était basé sur une nomenclature INSEE dans laquelle les vestiges sont classés par un nom de code. Durant mes moments disponibles, je faisais des recherches sur les toponymes pour tenter une approche complémentaire de ces sites.

 

Comment as-tu procédé pour tes recherches ?

J’ai la chance de disposer d’une grande documentation réunie autour du moi (celle du Musée et du Service de la Culture et du Patrimoine) et d’avoir des antécédents en archéologie, ce qui me permet de lire des cartes topographiques sans trop de difficultés. J’ai aussi étudié les tomite* et les enregistrements cadastraux des terres de la commune de Punaauia. Mais les ressources les plus importantes ont été humaines : Teraitua, alias Fortuné Teissier, Wilfred Tetuanui et Loana Ariipeu, des personnes d’une grande connaissance géographique des lieux et très attachées à faire vivre l’histoire de leur commune. Et enfin, il a fallu se muscler les jambes pour partir à la découverte de ces lieux !

 

Quelle est l’importance de la toponymie d’après toi ?

Cette discipline permet la redécouverte et la valorisation de l’identité des lieux car les toponymes renferment une richesse patrimoniale indéniable. Ils sont une empreinte de l’histoire et dégagent un contexte social, économique, politique et religieux. J’ai travaillé en étroite collaboration avec Hiritia Millaud pour tout l’aspect linguistique – c’est sa spécialité – indispensable pour un découpage sémantique permettant d’une part une prononciation et une traduction correctes des toponymes et d’autre part pour appréhender des chemins d’interprétation.

 

Comment les noms ont-ils évolué ?

L’évolution des noms est relative à leur histoire particulière. Nu’uroa ou pointe Pu-na-‘au-ïa est devenue Puna-aui-a, puis Puna-‘aui-a* et pour finir pointe des Pêcheurs, ou encore Sapinus, nom donné par les jeunes générations. L’important étant de pouvoir retrouver et restituer la chronologie de ces appellations pour en saisir la logique historique. En revanche, ce qui est inquiétant ce sont ce que j’appelle les « glissements » s’opérant au cours du temps. Un terme qui perd une voyelle par exemple, comme c’est le cas pour « pu’urau » devenu « purau » : le sens est tout autre et n’a plus aucun rapport avec le contexte historique, géographique ou culturel du lieu. L’arrêt de la transmission naturelle de la langue depuis plusieurs décennies et son corollaire qu’est le vieillissement et la disparition des locuteurs traditionnels, font ressortir de façon de plus en plus aiguë l’urgence d’un collectage de ce qui constitue la richesse de notre langue et ce tout particulièrement dans le domaine de la toponymie. Aujourd’hui, j’estime à plus de 50% des toponymes de base non utilisés. Il est donc plus que jamais temps…

 

Quels sont tes projets futurs dans ce sens ?

Je suis, depuis un certain temps, sollicitée par l’Education, notamment des écoles de Pa’ea et Puna’auia participant au concours de ‘örero et désireuses de connaître la mémoire des lieux sur lesquels elles se situent. Un projet qui me tient à cœur également est celui de l’étude des aires marines de Puna’auia déjà en cours. Ce n’est plus de la toponymie mais de l’hydronymie – encore que celle-ci concerne les eaux douces, mais il n’existe pas de terme pour le lagon ou l’océan ! En Polynésie, la mer parle autant que la terre ; il y a encore beaucoup à découvrir.

 

ENCADRES

Hiti, frontière première et originelle

C’est Hiti a Hiti, un ancêtre illustre de Puna’auia, qui fonda le marae Tahiti. Cet espace abonde de noms composés avec lui : Mehiti, Mou’a Tahiti, Teupo’otahiti, Te ara o Tahiti, Hiti rahi, Tahiti…

 

Saviez-vous que…

« Tä-manu », nom du plateau des orangers, signifie « frapper l’ennemi », en référence à sa position stratégique de poste d’observation des ennemis mais aussi lieu d’affrontements célèbres.

 

Carte toponymique Hiti

Disponible à partir de 800 Fcfp au Musée de Tahiti et des îles. En vente aussi dans les librairies de la place.

 

* Définition de l’Académie Tahitienne : « Attestation délivrée au XIXème siècle par des comités ad-hoc et qui reconnaissaient la notoriété de la possession des terres. »

* Pü-na-‘au-ïa « la conque est mon attribut » tire son origine du selon la légende Pü i roro’i hau ; Puna-aui-a fait référence au héro Puna, que l’on a « assis, établi et élevé » d’où le marae Punaauia. Puis, Puna-‘aui-a, adopté depuis l’installation des missionnaires à Nu’uroa, signifie : « Puna cuit à l’étouffé ». Toutes ces versions, comme l’explique Vairea, « situent des séquences chronologiques différentes, elles sont toutes respectivement valables et ne peuvent en aucun cas être confrontées en des termes qualificatifs ou justificatifs. »

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