« On ne peut pas tricher avec la culture »
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Présente-t-on encore Raymond Teeriierooiterai Graffe ? Bien connu du public pour ses cérémonies de marche sur le feu autant que pour l’art du tatouage, il va partir à la retraite le mois prochain, après 35 ans passés au département archéologie du service de la Culture et du Patrimoine. Un nouveau départ !
Tu pars à la retraite le 1er juillet… Quel effet ça te fait ?
Sincèrement, ça me fait drôle d’imaginer d’arrêter de travailler. Cela fait 35 ans que j’ai un rythme assez dense, de penser que la soupape va sauter du jour au lendemain me donne une sensation étrange ! Mais ce n’est pas parce que je serai à la retraite que je vais tout arrêter ! J’ai d’ailleurs plein de projets.
Lesquels ?
Je dispose d’un immense terrain à Papenoo, dans la vallée, et je compte bien le rendre utile en faisant de l’agriculture raisonnée et durable. Cela pourra donner du travail aux jeunes de la commune qui ne travaillent pas et devenir une production intéressante pour tout le monde.
Pourquoi, voilà 35 ans, avais-tu choisi la voie de l’archéologie ?
En 1971, il y a eu le projet de barrage hydraulique dans la vallée de Papenoo. J’ai commencé les prospections comme ça, bénévolement, trop inquiet de voir disparaître tous les vestiges du passé. Suite à cette expérience et à ma rencontre avec l’archéologue José Garanger, j’ai décidé de partir à Paris pour suivre une formation en archéologie. J’avais trouvé dans cette discipline une manière concrète de reconstituer notre histoire, le mode de vie des temps anciens. Je suis revenu à Tahiti à 1982 et j’ai commencé à travailler au CPSH*.
Quelle est ta plus grande satisfaction au cours de ta carrière ?
Il y en a eu plein ! Mais la plus marquante reste la campagne de fouilles de Vitaria, à Raivavae, entre 1982 et 1984. Nous avons mis à jour la plus grande plateforme d’habitation jamais découverte en Polynésie, mesurant plus de 92 mètres de long sur 22 mètres de large. 12 pierres dressées – considérées comme les dossiers royaux -étaient là également. J’ai trouvé, enfouis à un mètre de profondeur dans le sol, les poteaux en aito de la maison ! L’ensemble date du 13ème ou du 14ème siècle. C’était une formidable découverte.
Et ta plus grande déception ?
Tous les projets de sauvegarde de notre patrimoine qui n’ont jamais pu aboutir. Le dernier en date : la restauration, prévue en 2009, des marae Te mahara, Pomoavao et Atorani de Raivavae, des sites de grandes importances qui ne demandent qu’à être valorisés. On avait vraiment beaucoup travaillé, notamment avec la population de l’île qui était très impliquée dans ce chantier. Nous n’avons finalement pas obtenu les crédits.
Comment as-tu été sensibilisé à ta culture, aux traditions ?
Mon père était un ancien combattant, très strict… Il nous interdisait de parler tahitien à la maison puisque c’était la loi. Mais pendant ses siestes du dimanche, avec ma mère, on parlait notre langue. C’est comme ça que j’ai pu apprendre le tahitien. Mais surtout, c’est grâce à ce livre que ma mère possédait et qu’elle tenait de son grand-père, Teriieroo a Teriierooi te Ra’i, chef de Papenoo à la fin du 19ème siècle. Il a recueilli et écrit de sa main un livre réunissant tous les récits qu’on lui a transmis. C’est un trésor de connaissances, je l’ai décortiqué pendant des années pour le comprendre. Il m’inspire et me guide depuis toujours.
Quelle est ta définition de la culture ?
La culture est un terme profond, mais aujourd’hui, on l’assaisonne à toutes les mayonnaises… Selon moi, elle est plus que ce à quoi on l’associe couramment (la danse, le chant, le tatouage…) : c’est un ensemble de données historiques qu’une minorité tente de rechercher et de mettre en application. On ne peut pas tricher avec la culture.
Que souhaites-tu pour l’avenir de la culture polynésienne ?
Les grandes perspectives ont été apportées lors des Etats généraux. Ne reste plus qu’à les appliquer, mais on ne peut pas, on ne doit pas attendre ! Certes, le nerf de la guerre c’est l’argent. A force de ne compter que sur lui pour « faire », rien ne se passe, alors agissons avec notre énergie et le peu de moyen dont nous disposons ; ce sera toujours mieux que rien.
Les festivités du 129ème Heiva approchent, que penses-tu de l’évolution de cet événement ?
Je suis, comme de nombreux anciens je pense, nostalgique du Tiurai ! Le Heiva se modernise, ce qui est tout à fait normal, mais moi je trouve que la flamme qui animait les grands chefs de groupes n’est plus aussi vive. Je ne ressens plus la même excitation qu’autrefois… Pour autant, le Heiva doit perdurer coûte que coûte.
Le mot de la fin ?
Il n’y aura pas de fin pour moi tant que mes yeux ne seront pas fermés ! Je vais continuer mes activités culturelles (cérémonies, tatouages, rituels, etc.) aussi longtemps que possible, pour perpétuer le merveilleux héritage de nos ancêtres.
ENCADRE
Nous avons tous rendez-vous avec Raymond Teeriierooiterai Graffe le 6 juillet prochain, pour vivre sa 58ème marche sur le feu, ou cérémonie du umu ti, rite venu de la nuit des temps et perpétué par notre tahua.
Celle-ci se déroulera en fin de journée au Mahana Park (PK18, à Punaauia).
* Le Centre Polynésien des Sciences Humaines, créé en 1980, regroupait le Musée de Tahiti des îles, le département d’Archéologie et des Traditions Orales. Il a été dissout en 2000 pour former deux entités : le Service de la Culture et du Patrimoine et le Musée de Tahiti et des Îles.