Nos Trésors sont vivants… Profitons-en !

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L’une des grandes menaces pesant sur notre patrimoine est la disparition progressive du nombre de personnes ayant saisi l’essence de notre culture, qu’il s’agisse de la danse, de la musique, des légendes et autres expressions culturelles. Ce sont nos trésors humains vivants. Qui sont-ils, que savent-ils ? Pour répondre à ces questions avant qu’il ne soit trop tard, le Service de la Culture et le Centre des Métiers d’Art travaillent de concert et chacun à leur manière au recueil des richesses humaines en voie de disparition.

Ils se nomment Hare, Maco, Flora, Wilfried, Coco, Louise… Vous ne les (re)connaissez pas forcément car ils oeuvrent le plus souvent de manière discrète, voire confidentielle. Ils sont les héros modernes de notre culture, les détenteurs d’un savoir et/ou d’un savoir-faire précieux : orateurs, penseurs, tresseurs ou danseurs, ces femmes et ces hommes de l’ombre « possèdent à un haut niveau les connaissances et les savoir-faire nécessaires pour interpréter ou recréer des éléments spécifiques du patrimoine culturel immatériel », comme le définit l’UNESCO. A l’heure de l’uniformité, ils se sont consacrés à la compréhension de leur culture et à l’enrichissement de la tradition et ne cessent de le faire.On pourrait les nommer les « Trésors vivants » du Pays, car ils sont les gardiens et les garants de notre temple commun. Il serait regrettable qu’ils disparaissent sans que personne n’ait essayé de recueillir leurs souvenirs, connaissances et expériences, sauvegarder cette mémoire collective, notre mémoire. Ces personnes sont des repères, les dépositaires de notre histoire, de notre identité, de ce qui nous constitue, nous construit ou dans le cas contraire nous manque et nous détruit.

Pour éviter cette catastrophe culturelle, le Service de la Culture et du Patrimoine a travaillé, en 2006, à la mise en place en Polynésie d’un système inspiré des « Trésors Nationaux Vivants » du Japon, ou des « Maîtres d’Art » en Métropole. Ces titres sont attribués à des personnes distinguées pour leur culture et/ou l’excellence de leur savoir-faire. Dès lors, ces Trésors vivants sont investis d’une mission porteuse d’avenir : celle de veiller à la transmission de leurs héritages. Bien qu’immatériel, ils font partie du patrimoine culturel ; ces héritages sont liés à notre histoire, à nos racines, et surtout il joue un véritable rôle au sein de la société en contribuant à préserver et à promouvoir l’identité ma’ohi.

« L’instabilité politique que nous connaissons depuis ces dernières années a freiné l’aboutissement de ce projet. L’année 2011 sera consacrée à la mise en place d’un plan d’action permettant d’inscrire ce programme dans le temps. Il reste aussi encore quelques points à préciser, tel le nom à donner à nos Trésors vivants. Différentes propositions ont été avancées* et il convient à présent de se prononcer pour l’une ou l’autre d’entre elles. Il y a d’autre part lieu de désigner l’instance compétente pour discerner les personnes susceptibles de recevoir le statut de « Trésor vivant ». A cet effet, il paraît indiqué de finaliser le projet afin de créer un comité de sélection de façon à pouvoir honorer de leur vivant les derniers dépositaires de la culture polynésienne.

« La culture vaut de l’or »

Jeudi 3 mars, quelques élèves du Centre des Métiers d’Art ont pu rencontrer Tavana Hare Salmon, 91 ans, un des plus illustres représentants du renouveau culturel polynésien. Il est en effet l’un de ceux qui ont contribué à remettre à l’honneur les fondamentaux de la culture polynésienne tels le tatau, les cérémonies coutumières, etc., dans les années 80. Hare Salmon, devenu Tavana après une intronisation officielle à Samoa, a en effet recherché et étudié les motifs tahitiens collectés dans le monde entier, en Allemagne et à Hawaii, où il a d’ailleurs longtemps vécu. Les années d’enquête de Tavana trouvent leur consécration dans un carnet d’une centaine de motifs glanés çà et là, recréés et qu’il conserve. Tavana Salmon a accepté de les faire partager avec Jo, Warren, Nathalie, Lena, Temata, Terani, Philippe et Fetia’ura, élèves de 1ère et 2ème année au Centre des Métiers d’Art. Ils ont ainsi pu appréhender avec émotion le parcours impressionnant de cet homme. « Ce fut un honneur et une chance de partager ce moment privilégié avec quelqu’un comme Tavana, affirment-ils d’une seule voix. Il n’y a plus beaucoup de personnes comme lui. Mais c’est aussi un peu frustrant de ne pas pouvoir rester plus longtemps à ses côtés, il aurait tellement à nous apprendre. D’autant qu’il semble très heureux de partager ses connaissances, ses expériences, de rétablir certaines vérités aussi ! Tavana a œuvré toute sa vie pour redynamiser les cultures polynésiennes dans ce qu’elles ont chacune de spécifique. Il nous a bien fait comprendre qu’en tant qu’élèves du Centre des Métiers d’Art, nous avions aussi la responsabilité de faire vivre le patrimoine, à travers les objets du passé, du présent et du futur tout en en vivant, ce qui est important ! Tout le monde est capable d’utiliser un outil de sculpture, ce n’est pas là ce qui compte : l’important est de travailler à transmettre la culture et de la vivre de façon authentique. »

Recevoir pour transmettre

Viri Taimana, Directeur du Centre des Métiers d’Art, a souhaité organiser ce tête-à-tête entre Tavana Salmon et ses élèves pour donner le point de départ d’un travail de recueil du patrimoine qu’il estime urgent.

Qu’est-ce qui a été à l’origine de cette rencontre ?

Nous cherchions du Rô’â, un arbuste devenu rare dans certains endroits et à partir duquel les anciens confectionnaient les lignes de pêche. On ne cultive plus le Rô’â et je me suis dit que s’il disparaît, on va définitivement l’oublier. Lui, mais aussi la technique de récolte et de préparation jusqu’à la confection des fibres, puis tout le savoir lié à la pêche, car tout est lié ! C’est une chaîne symbiotique : là où il y a des plantes, il y a des hommes et une culture qui va avec. Dès lors, j’ai recherché des plants de Rô’â pour en cultiver au CMA, et étendu cette réflexion. En tant que centre de « formation », il nous appartient d’identifier les détenteurs de savoirs, héritiers de notre culture, pour sauvegarder ce qu’il reste des traditions, confrontées aux assauts de la modernité. Le décès de Jean-Marc Pambrun a d’autant plus renforcé et précipité ma conviction qu’il est urgent de recueillir ce qui reste.

Comment officialiser ce travail ?

Le Service de la Culture a déjà travaillé sur la question du système des Trésors vivants à mettre en place en Polynésie. Un rapport avec des préconisations a été remis au Ministère de la Culture en 2005. L’officialisation est latente, mais on ne peut pas attendre qu’elle existe avant de commencer à mener ce travail. Ce qui compte pour le moment est de permettre à la jeunesse d’avoir des moments privilégiés avec des « mentors » comme Tavana Salmon pour qu’ils apprennent : il n’y a qu’ainsi qu’à leur tour ils pourront transmettre et devenir acteur de la continuité culturelle.

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Trésors vivants : de quoi s’agit-il ?

Pour faire en sorte que les connaissances et les compétences traditionnelles soient préservées, perpétuées et développées, l’UNESCO a officialisé la notion de « Trésors humains vivants » en 1977. La mise en place de ce système a depuis été ratifiée par 134 états, dont la France en 1994. L’intérêt de reconnaître officiellement le concept de « Trésors vivants » est qu’il permet d’encourager les détenteurs de ce patrimoine à continuer de transmettre leurs connaissances et savoir-faire aux générations qui les suivent. Selon l’UNESCO, l’institutionnalisation des Trésors humains vivants vise avant tout à « préserver les connaissances et les savoir-faire nécessaires à la représentation, l’exécution ou la recréation d’éléments du patrimoine culturel immatériel qui présentent une grande valeur historique, artistique ou culturelle. (…) Le programme des Trésors humains vivants a pour objectif d’encourager les États membres à accorder une reconnaissance officielle à des détenteurs de la tradition et des praticiens talentueux, ainsi qu’à assurer la transmission de leurs connaissances et savoir-faire aux jeunes générations. Les États sélectionnent de telles personnes sur la base de leurs réalisations et de leur volonté à transmettre leurs connaissances et savoir-faire aux autres. La sélection se fonde également sur la valeur des traditions et expressions concernées en tant que témoignage du génie créateur humain, ainsi que sur leur enracinement dans les traditions culturelles et sociales, leur caractère représentatif pour une communauté donnée et le risque de les voir disparaître. »

ENCADRE

* Comment appeler nos Trésors humains vivants ?

Voici un dilemme qu’il conviendra de résoudre en tant voulu. Le rapport du Service de la Culture, basé sur un sondage, révèle que cette appellation est perçue de façon péjorative. En effet, « de nombreuses personnes associaient à cette expression l’idée de ‘pièce de musée’ ou ‘personne à mettre dans un zoo’. » Aussi, pour contourner la difficulté, les dénominations de « détenteurs de la tradition du Pays », ou « détenteurs du savoir traditionnel du Pays » ont été évoqués. Quant aux appellations tahitiennes, le terme de tahu’a, associé à un complément d’objet, semble être le plus apte à rendre en reo ma’ohi le concept de « Trésor humain vivant ». Tahu’a étant entendu par rapport à la définition de l’Académie Tahitienne : « spécialiste, expert ».

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