Hiro’a : L’union fait la force (Tahiti, Polynésie)
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Depuis un an, le Pays s’est lancé dans la refonte du service public. Ce vaste chantier va connaître un tournant décisif lors des prochaines assises du Service Public ce mois de mai.
L’objectif est d’améliorer son efficacité et de réduire son « poids » financier, afin de traverser la crise avec le minimum de dommages collatéraux. Clairvoyants, les établissements culturels décidaient spontanément il y a plus de trois ans d’unir leurs efforts et leurs moyens, affichant ainsi un dynamisme certain malgré une conjoncture morose. Présentation d’une solidarité qui, bien que productive et inédite, reste assujettie aux décisions politiques.
« Sans solidarité, performances ni durables, ni honorables » écrivait François Proust dans ses Maximes à l’usage des dirigés et de leurs dirigeants. Il y a bientôt quatre ans, les responsables du secteur public culturel se concertaient. L’idée ? Résoudre des problématiques communes. Placer au cœur de leur démarche les dynamiques d’échange et de mutualisation. Avancer ensemble. La réponse ? La création du magazine Hiro’a, l’organisation et la gestion de projets communs tels que Cinematamua, Matari’i i nia, Hommage à Henri Hiro, FIFO, Etats généraux, hiroashop.com… Culturels, artistiques, logistiques, techniques, juridiques ou multimédias, leurs compétences et leurs moyens sont complémentaires. Alors autant les réunir, les mettre à disposition des uns et des autres. « Nous avons eu la volonté de travailler ensemble à un moment où le pays, secoué par l’instabilité, ne donnait plus de consigne claire quant au cap à tenir. Plutôt que de se laisser démotiver par cette crise que l’on sentait venir, nous nous sommes plus que jamais attachés à nos missions pour élaborer des projets intéressants », expliquent-ils. Une première dans l’univers cloisonné de l’administration polynésienne, car une telle démarche suppose de privilégier l’intérêt commun.
Histoire de rencontres
Derrière cette union culturelle, il y a des Initiateurs : Heremoana Maamaatuaiahutapu, directeur de la Maison de la Culture, et Jean-Marc Pambrun, dont la présence manque aujourd’hui cruellement. Des personnalités derrière qui l’on a envie de se rallier pour leur hauteur de vue. « La mutualisation du secteur culturel est aussi une histoire de rencontres entre les hommes, s’accordent à dire les directeurs. Une question d’affinité et de vision partagée : « nous pensons tous que la culture doit être au centre du développement du Pays. La cohésion nous permet aussi de compléter nos moyens et d’être plus efficaces. Nous établissons ensemble les programmations, les évènements et leur mise en œuvre. Notre unité est un moteur dans tous les projets. » Attention, cette alliance n’est pas imperméable aux caractères de chacun des dirigeants… « Il y a des confrontations car nous avons des personnalités, des carrières et des expériences très différentes. Mais jusqu’à aujourd’hui, nous avons réussi à régler nos différends de manière consensuelle. Certains doivent parfois faire des concessions, c’est le jeu, les contrariétés ponctuelles sont toujours dépassées. »
S’allier pour survivre
Le rayonnement de la culture en Polynésie n’a jamais été aussi important et pourtant le secteur représente moins de 1% du budget du pays. Depuis plusieurs années, la plupart des établissements voient leur subvention fondre à vue d’œil. « La mutualisation des moyens nous a permis de faire face à cette baisse et de maintenir l’activité culturelle à un certain niveau, dans des conditions financières déplorables », avouent les responsables culturels. On en est arrivé au point de rupture de la philosophie du ‘faire plus avec moins’. Il arrive un moment où on ne peut plus faire de miracle. Réduire encore notre budget nous priverait de notre raison d’être et de nos missions fondamentales, dont l’exécution est déjà réduite au strict minimum. La culture est aujourd’hui en péril, alors qu’elle est l’image du pays et garante du bien-être de la population. » Alors oui, pour le moment, l’union du secteur culturel lui permet de survivre.
Concrètement ? Vous le savez, le Grand Théâtre de la Maison de la Culture est actuellement en plein travaux. Les 800 fauteuils, une fois démontés, doivent être stockés jusqu’à la fin du chantier… Mais où ? Louer un entrepôt pendant 6 mois aurait entraîné un surcoût difficilement surmontable, alors que le Muée de Tahiti dispose d’un espace inutilisé. Problème réglé ; argent économisé. Autre exemple : le Conservatoire, qui a fait un gros travail de recherche et d’inventaire des pehe*, ne disposait pas du matériel adéquat pour procéder aux enregistrements de ces derniers. Mais non loin de là, la Maison de la Culture possède la technique et le matériel sonores, tandis que l’ICA a les infrastructures de conservation et de diffusion numériques… A eux trois, ils ont pu sauver et rendre accessibles ces musiques indissociables du patrimoine polynésien. Une belle coopération que ne dément pas le site Internet www.hiroashop.com. Initié et administré par l’ICA, il permet aux établissements culturels et à tous les artistes, écrivains, artisans, sculpteurs etc. de vendre en ligne leurs créations. Quant au magazine Hiro’a, il est lui aussi le résultat de ces énergies inépuisables. Grâce à ce support, chaque établissement peut communiquer sur ses actions, ses innovations, ses projets, ainsi que sur toute la partie immergée de l’iceberg, invisible aux yeux du public : son travail de fond. Tout cela dans une véritable exigence complémentaire de l’acte et de la pensée culturelle.
Mais malgré une motivation et une volonté évidentes, le secteur culturel, même regroupé et solidaire, est au bout de ses possibilités. La conclusion des Etats généraux tirait pourtant la sonnette d’alarme.
Repenser le service public, oui mais….
En optimisant leurs ressources, les établissements culturels ont devancé l’objectif du Pays, qui, depuis le mois de janvier 2010, a décidé de réformer l’action publique polynésienne pour lui garantir de meilleures performances. Une remise en question et une évolution nécessaires, sachant qu’au regard de l’état des ressources globales, il est urgent de faire des choix pertinents. Oui, mais. « Le succès de la réforme ne se fera pas dans les structures mais dans les mentalités, estiment les dirigeants culturels. Il faudrait adopter une vraie culture d’entreprise au sein de l’administration, ce qui risque d’être très difficile car il y a une forte inertie. » Le plus dur ne sera probablement pas de faire et défaire des entités, des missions, des fusions, des postes, mais de les rendre effectivement productifs.
La conclusion des Etats généraux de la Culture : prendre la culture au sérieux*…
En Polynésie, la culture n’est pas considérée comme l’un des moteurs essentiels du développement économique, pouvant générer des retombées économiques importantes et des créations d’emplois directs et indirects. Ainsi, « malgré des retombées économiques et des avantages qui vont au-delà de la culture par le renforcement du lien social qu’elle opère, les pouvoirs publics ne semblent pas avoir pris la mesure de l’intérêt à soutenir la sphère culturelle », peut-on lire. « Le poids du soutien du Pays à la sphère culturelle est en baisse constante depuis 2004. Il représente 0,7 % du budget du Pays en 2009 contre 1 % en 2003, soit 1 159 498 274 Fcfp répartis sur 12 institutions culturelles. Les charges de personnel ayant de leur côté augmenté sur la période, les dépenses consacrées aux actions culturelles ont diminué et les comptes des établissements ont été obérés. Pourtant, la demande des usagers s’est accrue de façon exponentielle, puisque 475 000 personnes fréquentent ces établissements en 2008 contre 310 000 personnes en 2004. Le montant des subventions exceptionnelles attribuées aux établissements, services et associations au titre de l’action culturelle a aussi diminué de 32,4 % entre 2001 et 2008, dans tous les domaines éligibles : fouilles archéologiques, études, publications, création artistique et littéraire, animations, festivals, salons, promotion des langues…. » Trop de problèmes structurels pèsent sur la culture. Le poids économique de la sphère culturelle n’a jamais été étudié. Un simple constat qui démontre la nécessité de la professionnalisation de ce secteur, et de lui donner les moyens institutionnels, juridiques, financiers et humains de jouer son rôle non négligeable de moteur économique et social.
* Source : Synthèse des Etats généraux de la Culture
Appliquer la loi du 1%, comme dans de nombreux pays ?
Cette piste est proposée depuis longtemps par le secteur culturel aux ministères de la Culture successifs. Le projet est resté lettre morte, bien qu’il semble bénéfique pour tout le monde et assez aisé à mettre en œuvre. Explications : Le 1% artistique, ou culturel, est une mesure qui consiste à consacrer un financement représentant 1% du coût des constructions ou de l’extension de certains bâtiments publics à la commande ou à l’acquisition d’une ou plusieurs œuvres d’art contemporain. L’obligation de ces commandes permet d’enrichir le patrimoine artistique contemporain. Ces œuvres, extrêmement variées dans leurs formes et leurs matériaux, le plus souvent créées pour le site ou l’architecture qu’elles occupent, sortent du circuit des institutions spécialisées (musées, galeries) pour venir à la rencontre d’un très large public, dans des lieux qu’il fréquente dans la vie quotidienne.
Hommage à Henri Hiro : la synergie en actes
Mars 2010. Souvenez-vous : le Musée de Tahiti accueillait l’exposition hommage à Henri Hiro. Jean-Marc Pambrun en était le commissaire. Il s’était investi dans un énorme travail de recherches. L’ICA conserve une soixantaine d’œuvres audiovisuelles, par ou sur Henri Hiro. Films, séries télévisées, spectacles, lecture de poèmes, documentaires, etc., des œuvres prêtées pour l’occasion au Musée et visibles tout au long de l’exposition. Mama Iopa, professeure de himene au Conservatoire, en amont de l’hommage, avait fait répéter un tarava de Henri Hiro à tout le personnel des établissements culturels. Il a été chanté publiquement à plusieurs reprises (exposition, cérémonie et ouverture du Heiva). Lors de l’hommage à Henri Hiro rendu à la Maison de la Culture le 10 mars 2010, chaque établissement avait apporté sa pierre à l’édifice, afin de célébrer dignement la personnalité multiple de Henri Hiro : inauguration des unu sculptés par les élèves du Centre des Métiers d’Art et installés sur le pae pae ce jour symbolique, spectacle de orero par des élèves du Conservatoire, Cinematamua spécial Henri Hiro préparé par l’ICA, avec le soutien technique de Heiva Nui… Sans oublier la merveilleuse soirée place Vaiete orchestrée par le Service de la Culture et du Patrimoine et les ateliers graffs de la Maison de la Culture, sur le thème de cet auteur polynésien incontournable.
Les assises du service public
Ouvertes le 26 avril elles se dérouleront jusqu’à fin mai. Ces assises sont une étape majeure du processus de refonte du service public de la Polynésie française. L’état des lieux du service public réunit et mobilise tous les acteurs de l’administration (ministères, services et établissements publics) et fait aussi appel à la population via une consultation qui est toujours en cours de réalisation. L’objectif est de définir les perspectives et les attentes de toutes les composantes de la société polynésienne par rapport à son administration, et de faire émerger les principes souhaités pour notre service public et son mode d’organisation.