« Bobby a été un cadeau pour la Polynésie »
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Le Musée de Tahiti et des îles, organise à partir du 8 février une rétrospective des œuvres de Bobby Holcomb pour lui rendre hommage à l’occasion des vingt ans de sa disparition. Un événement cher à Manouche Lehartel, admiratrice inconditionnelle de Bobby l’artiste mais avant tout de l’homme, dont elle a perçu avant beaucoup la prodigalité. De ses rencontres avec Bobby, Manouche a conservé le souvenir d’un être remarquable, ainsi que de nombreuses peintures.
Comment as-tu découvert Bobby ?
Nous avions des relations communes appartenant à la mouvance du « pupu arioi » constitué de jeunes polynésiens empreints de culture polynésienne. Je les trouvais beaux, leur engagement et leur mode de vie m’enchantaient. J’ai immédiatement été fascinée par Bobby qui respirait la sincérité, la simplicité, l’intelligence. Discuter avec lui était un vrai bonheur, tant par sa culture que par sa gentillesse. Je savais que j’étais face à une personnalité d’exception, bien au-dessus de la norme.
Tu es connue pour posséder une belle collection de ses peintures…
Je n’ai jamais eu l’intention de « constituer » une collection. Elle s’est faite au fil de nos rencontres, naturellement et spontanément. J’ai rarement « choisi » une de ses peintures !
C’est-à-dire ? Comment as-tu été amenée à lui acheter des œuvres ?
J’étais en stage au Musée de Tahiti en 1981quand Bobby est passé proposer une toile*, déclinée par le Musée qui était concentré sur son objet ethnographique. Elle était restée là en attendant acquéreur et elle m’a plu. J’ai souhaité l’acquérir… Il en demandait 60 000 Fcfp – ce qui représentait la moitié de mon salaire ! Sans charges particulières à l’époque, je me suis laissée tenter.
C’est ainsi que l’histoire a commencé…
Exactement. Il faut savoir que Bobby vivait de sa peinture. Tous les mois, il descendait de Huahine avec quelques tableaux et faisait le tour des bureaux et de ses connaissances en ville pour les vendre. Quand il arrivait au Musée avec une toile emballée dans du papier kraft sous le bras, il la posait contre le mur dans mon bureau, et nous faisions le tour de nos sujets d’intérêt. Avant de partir, on parlait de l’œuvre emballée – je la déballais jamais – et il me disait souvent : « c’est pour mon tarahu », sa facture au magasin de Fare à Huahine.
Pourquoi ne les regardais-tu pas avant ?
Je n’aurais jamais osé un tel affront ! Je l’admirais. Je trouvais indécent qu’il soit obligé de venir jusqu’à moi, en truck puis à pieds, avec son tableau, alors qu’il avait fait la tournée de ses relations en ville. S’il arrivait là, c’est que personne n’en avait voulu. Je n’aurais jamais pu le laisser repartir avec sa peinture, ça me paraissait évident de la lui prendre, de lui permettre de continuer à faire ce qu’il faisait !
Etait-ce de la charité ?
En aucun cas ! Non, non et non ! J’y trouvais mon compte, car j’aimais sa peinture et j’aimais l’homme qu’il était, généreux et altruiste. Un artiste dans le cœur et dans l’âme. J’avais le sentiment de contribuer à quelque chose de rare et précieux. Bobby a été un cadeau pour la Polynésie. Il nous a ouvert les yeux sur notre valeur, nous a appris une autre musique, nous a fait prendre conscience que la culture polynésienne ne se résumait pas à Gauguin, qu’il fallait respecter ses racines, être fier de son identité.
Quel est le tableau de Bobby que tu affectionnes le plus et pour quelle raison ?
Honnêtement, je n’ai pas de préférence. J’aime tous les tableaux de Bobby, surtout ceux que je n’ai pas ! J’affectionne les œuvres les plus anciennes que j’appréciais accrochées aux murs des maisons de nos relations communes, alors que je n’imaginais pas pouvoir en posséder moi-même un jour.
Qu’apprécies-tu dans sa peinture ?
Elle nous ressemble, dans sa simplicité et sa convivialité. Je crois que ce n’est pas de la « grande peinture » – comparé à un Rembrandt par exemple – mais c’est une peinture riche de sens, de contenu, de style aussi. Le côté presque naïf, de l’éternel enfant qui dessine ce qu’il a à dire sans se préoccuper des normes classiques, me plait énormément. Ses œuvres respirent la vie, nous ressemblent et nous vont bien.
Et pourtant, en son temps, il avait aussi des détracteurs…
Comme tous ceux qui font des choses, il pouvait déranger. Bobby déplaisait à certains car il les mettait devant leur mesquinerie ou leur ignorance de leur propre culture. Alors que c’est bel et bien grâce à lui, à Henri Hiro, au groupe des pupu arioi que la culture polynésienne a pu retrouver ses lettres de noblesse.
Tu organises au Musée de Tahiti la deuxième rétrospective de ses œuvres. Ça te paraît important que le grand public puisse découvrir la peinture de Bobby ?
Bien sûr, puisque ses œuvres appartiennent à des privés. Bobby est tellement populaire et apprécié des Polynésiens, les aînés auront plaisir à les redécouvrir et les plus jeunes à les découvrir. D’autant qu’il est davantage connu pour ses chansons que pour sa peinture, qui dévoile une facette de lui plus intime, plus profonde aussi.