Le four cannibale de Takaroa enseveli…
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Le patrimoine polynésien connaît des drames silencieux et malheureusement, ce ne sont pas les exemples qui manquent. A l’instar de ce four dit « cannibale », à Takaroa, identifié dans les années 1930 et auquel, plus récemment, l’ethno archéologue Jean-Michel Chazine avait commencé à s’intéresser. Trop tard ! Recouvert de corail pour permettre la construction d’habitations, il est désormais inaccessible, tout comme le lot de promesses archéologiques qu’il laissait supposer.
Nous sommes en 1980. Jean-Michel Chazine, archéologue*, doit partir en mission pluri-disciplinaire franco-japonaise à Reao, aux Tuamotu. « Il y avait encore des essais nucléaires à l’époque et il était obligatoire d’obtenir une autorisation spéciale pour se rendre à Reao. Nous n’avons d’ailleurs pas pu y aller sur le moment et j’ai proposé que l’on aille en attendant, à Takaroa, l’atoll voisin de Takapoto où j’avais déjà effectué un inventaire en 1975. L’archéologue hawaiien Keneth Emory avait entrepris l’inventaire des sites notamment de Takaroa dans les années 1930. Il citait un certain nombre de marae dont l’un avec un four à proximité, sur le site appelé Matiti marumaru. Un informateur lui avait raconté que la population avait jadis cuit (et mangé) un ennemi dans ce four. Cette histoire m’avait intrigué car le mode opératoire du cannibalisme faisait et fait toujours partie de nos questionnements. J’ai donc un peu ‘gratté’ à l’emplacement de ce four… et observé des fragments d’os de cochon et ce qui semblait être également des os humains partiellement brûlés – des phalanges peut-être. Mais je dirais que mon analyse était trop superficielle pour l’affirmer avec certitude. Nous n’avons pas pu les ramener pour les étudier plus précisément. Cette mission n’était qu’un repérage. »
27 ans plus tard
Jean-Michel Chazine doit attendre 2007 pour pouvoir effectuer une nouvelle mission à Takaroa, toujours curieux de scruter à nouveau ce précieux four. Et là, ô déception ! Celui-ci est recouvert de corail : la zone a été nivelée pour construire des habitations. « Le site sur lequel le four était localisé n’a jamais fait l’objet d’une mesure de protection, puisqu’il n’existait pas à l’époque d’inventaire archéologique normalisé. Aujourd’hui, c’est un grand regret que de ne pouvoir accéder à ce four car l’analyse des ossements aurait pu nous donner des indications objectives sur la question du cannibalisme dans les Tuamotu. La seule chose que nous ayons pu faire : prévenir la mairie et les habitants des alentours de la présence de ce four ‘enfoui’ … Tout n’est pas perdu, car il est enterré et non détruit, mais – et c’est toujours le même problème – il nous faudra commencer par trouver des fonds afin de disposer des engins nécessaires pour permettre de dégager le four ».
Des leçons à tirer pour l’avenir
Cette histoire n’est pas une fable et pourtant elle est porteuse d’une morale : le manque d’information est à l’origine de ce que l’on pourrait qualifier de « tuile » archéologique. Avec l’utilisation parfois inconsidérée des bulldozers que l’on connaît, on peut affirmer être passé à côté d’un vrai désastre. Mais si ce four a été recouvert de corail, c’est parce que les habitants n’en connaissaient ni l’existence, ni l’importance. « Je pense qu’il faut s’occuper plus efficacement de la médiatisation et de la restitution des connaissances auprès des populations, affirme Jean-Michel Chazine. Surtout sur un atoll, où l’environnement est déjà tellement fragile. Les derniers vestiges sont menacés par le climat, certes, mais surtout par l’ignorance. Pourtant, ce sont les dernières traces matérielles du passé, elles rendent compte de tout un système de croyances, d’organisation sociale et d‘adaptations. Ce patrimoine est d’une importance capitale car nous avançons plus sereinement avec la connaissance de notre passé et de nos origines. »
Le cannibalisme dans les Tuamotu
Le cannibalisme consiste à consommer un individu de sa propre espèce. Il était pratiqué dans certaines îles polynésiennes jusqu’à la conversion des populations au christianisme, et correspondait semble-t-il à une pratique essentiellement guerrière. Mais il est difficile, voire impossible, d’affirmer quoi que ce soit sur cette pratique, tant les connaissances attestées à son sujet sont pauvres. « Je me refuse à donner un avis sur le cannibalisme, avoue même Jean-Michel Chazine, car je ne veux pas dire n’importe quoi. On sait qu’il a été pratiqué à certains endroits ponctuellement, pour des raisons probablement différentes. Rechercher des données vérifiées sur les mécanismes culturels mis en jeu et en corréler les processus techniques grâce à l’archéologie est un travail de longue haleine qu’il faudra accomplir, car il nous permettra d’en savoir plus sur la préhistoire polynésienne en général et surtout, de clarifier un aspect du passé qui a été beaucoup trop manipulé ».
* Voir son interview dans notre rubrique « 10 questions à ».