« Sensibiliser la population aux méthodes de production de ressources de leurs ancêtres »
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Après avoir travaillé pendant plus de quinze ans sur les fosses de culture aux Tuamotu, puis, plus récemment, sur un atelier de fabrication d’hameçons découvert à Takaroa, Jean-Michel Chazine, aujourd’hui ingénieur de recherche senior au CNRS, poursuit son ambition de contribuer à découvrir les origines des primo habitants des Tuamotu. Entretien avec ce chercheur des secrets passés.
Depuis plus de trente-cinq ans, la Polynésie constitue l’un de vos terrains de recherche privilégié. À quelle occasion y êtes-vous venu la première fois ? Quand j’ai repris la fac, en 1974, alors que j’étais jusque-là ingénieur dans l’industrie, la chance a fait que le Professeur Garanger m’a très vite proposé de venir l’assister pour fouiller et restaurer le marae Taata de Paea. Je l’ai suivi. Ce qui m’a ensuite amené à diriger le Département Archéologie qui a été créé en 1979.
Ces travaux étaient essentiellement archéologiques. Quelle a été votre première découverte ethnoarchéologique ?
Je me suis plus particulièrement intéressé à l’ethnoarchéologie* après avoir découvert les fosses de culture[1], en 1975 à Takapoto. Pour connaître le mécanisme d’utilisation de ces fosses, j’ai pu rencontrer quelques anciens qui les avaient vues fonctionner dans leur enfance ou à qui on avait raconté comment les utiliser.
À partir de 1984 vous avez lancé un véritable programme de réhabilitation de ces fosses de culture, quel en était l’objectif ?
L’idée première était de faire un inventaire des fosses pour avoir une idée plus précise de la capacité de production alimentaire qu’elles apportaient aux insulaires. Jusqu’en 1990, j’ai effectué les relevés cartographiques d’environ 1 500 fosses sur une dizaine d’atolls des Tuamotu ! Le second objectif était de les réactiver pour sensibiliser la population aux méthodes de production de ressources que leurs ancêtres avaient mises au point et qui étaient particulièrement adaptées aux atolls.
L’autosuffisance alimentaire était alors déjà un sujet d’actualité ?
Absolument. Avec la monétarisation et l’arrivée de nourriture importée, les insulaires avaient perdu l’habitude de produire eux-mêmes leur alimentation (ressources marines mises part). On a donc lancé un programme de sensibilisation et d’information, qui a fonctionné pendant environ trois ans, mais c’est vrai qu’une fois qu’il n’y a plus personne sur place pour le promouvoir, les choses se diluent un peu…
N’est-ce pas frustrant ?
En partie seulement, car on a pu voir que certaines personnes s’étaient partiellement réapproprié les techniques. Mais les traductions que nous faisions à l’époque en tahitien ou pa’umotu n’étaient pas suffisantes. Il faudrait aujourd’hui relancer cette campagne, dans une langue et des supports accessibles à tous.
Vous êtes tourné vers une ethnoarchéologie participante…
Je pense que dans le domaine de l’alimentation, des comportements, de l’entretien ou de la protection de l’environnement, on ne peut pas rester le scientifique qui énonce simplement des données objectives et être extérieur aux problèmes que les gens rencontrent. Il faut affronter ces problèmes et s’y adapter, essayer de trouver une formule de médiation entre un savoir quelque peu ésotérique et les besoins ou le mode de compréhension des gens.
Entre 1991 et 1999, vous avez fait un passage par Bornéo avant de revenir en Polynésie vous intéresser à la fabrication des hameçons. Comment en êtes-vous arrivé à ces recherches ?
En travaillant aux Tuamotu sur les fosses de culture, j’avais remarqué d’innombrables morceaux de nacre jonchant le sol, auxquels j’ai commencé à m’intéresser quand j’ai trouvé des constantes dans les formes. Pensant qu’il y avait un lien, j’ai voulu reconstituer les chaînes opératoires mises en œuvre dans la fabrication d’hameçons. J’ai travaillé sur Makemo, Tatakoto et Takaroa et c’est finalement là que je suis tombé, en 2007, sur un gigantesque atelier de fabrication d’hameçons.
En septembre vous êtes d’ailleurs revenu à Tahiti pour étudier vos récoltes ?
Je suis venu compléter les photos, mesures, décomptes et observations que j’avais commencé à faire et je suis actuellement en train de rédiger mon rapport.
Quel est votre prochain sujet d’étude ?
Comme nous tous – ethnologues et archéologues -, je cherche à connaître l’origine anthropologique et culturelle et la date effective à laquelle les premiers occupants se sont installés aux Tuamotu. Il y a différentes pistes mais ça reste une question primordiale à laquelle on n’a pas encore véritablement apporté de réponse…
Avez-vous déjà quelques hypothèses ?
Celles que j’ai pu élaborer me font penser que les occupants des Tuamotu maîtrisaient les techniques nécessaires à leur survie, or je ne pense pas que ce soient les habitants des îles hautes environnantes qui connaissaient le fonctionnement des fosses de culture. Ce qui voudrait dire que les premiers occupants des Tuamotu viennent de plus loin dans l’Ouest du Pacifique, peut-être de la zone au large des Philippines et de Bornéo. Je souhaite pouvoir revenir l’an prochain pour poursuivre ces recherches.
* L’ethnoarchéologie est l’étude des relations entre l’archéologie et la vie des populations traditionnelles encore vivantes.
[1] Les « fosses de culture », poétiquement appelées « jardins d’atoll », sont de grandes fosses creusées à la surface des atolls dans lesquelles se préparait un compost particulier pour cultiver essentiellement des tubercules, mais aussi des plantes alimentaires comme le aoti, la canne à sucre ou des arbres fruitiers.