Le tapa, étoffe menacée
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Aujourd’hui en Polynésie française, on ne fabrique plus vraiment de tapa. Sauf à Fatu Iva, la plus isolée des îles Marquises, irréductible bastion de la résistance de cet art en péril ! A Tahiti, les héritiers et garants de ce savoir-faire comme Tutana Tetuanui, originaire de Fatu Iva et agent au département des Traditions au Service de la Culture, tentent de le perdurer.
Au premier regard, les tapa sont des sortes de grands buvards bruns, beiges ou blancs sur lesquels on aurait tracé ou imprimé une multitude de motifs, différents selon leurs origines : on en fabriquait dans tout le triangle polynésien, ainsi qu’en Mélanésie. Les uns sont doux comme de la peau de chamois ou transparents comme de la mousseline, d’autres brillants et solides comme du cuir glacé. Ce sont des masques, des pareu et des ceintures, des étoles, des coiffes et des linceuls, des couvertures ou des rideaux qui portaient en eux, comme des tatouages, les marques des grandes migrations, des histoires familiales. Produits d’un savoir-faire ancestral exclusivement féminin, les tapa étaient des objets complexes, des enveloppes, des liens, des parures et des « trésors » participant à l’équilibre du monde, des hommes et des dieux.
Tapa versus tissu : un combat perdu
Jusqu’à l’arrivée des Occidentaux au 18ème siècle, les Polynésiens ne disposaient que de cette étoffe pour habiller aussi bien les hommes que les effigies des dieux, pour recevoir les nouveau-nés et servir de linceul aux morts, pour orner et séparer les espaces collectifs.
Après avoir subi l’influence européenne, Tahiti, puis progressivement le reste des îles polynésiennes, durent se résoudre à abandonner un certain nombre de techniques traditionnelles au profit de l’importation de marchandises européennes. Le tapa perdit ainsi sa raison d’être : la pression des missionnaires fut prépondérante en apportant de profondes modifications dans la mode vestimentaire, puis en supprimant les pratiques religieuses ancestrales auxquelles il était associé. Mais dans certaines îles plus isolées, notamment Fatu Iva, aux Marquises, la technique a survécu et l’étoffe est toujours fabriquée, même si elle est désormais dépourvue de ses fonctions sacrées. On l’utilise pour la confection de chapeaux, sacs à main, etc., et surtout pour la réalisation de panneaux où sont peints des motifs de tatouage marquisiens.
Passeur de savoirs
« Chez moi à Fatu Iva, toutes les femmes fabriquent encore du tapa« , témoigne Tutana. « C’est est un travail quotidien, source de revenus pour notre île. J’ai moi-même appris là-bas, après avoir découvert par hasard une pierre à tapa très ancienne dans une vallée où vécurent mes parents. J’y ai vu un signe, et mon intérêt pour cet art n’a cessé de croître depuis. Mon objectif est de faire en sorte que qu’il ne s’éteigne pas. La technique que nous utilisons pour réaliser des tapa est toujours traditionnelle, même si certains éléments plus modernes viennent s’ajouter : on peut introduire de l’amidon par exemple, pour le durcir. C’est la fonction et l’esthétique des tapa qui ont changé. Aujourd’hui, la plupart des gens ne voient pas pourquoi ils apprendraient à en fabriquer puisqu’il est inutile dans leur quotidien. Moi, je crois que nous ne devons pas oublier ce savoir traditionnel, et continuer à le transmettre aux jeunes générations. C’est pourquoi, au Service de la Culture, nous intervenons auprès des scolaires pour leur proposer des démonstrations des différents savoir-faire : tapa, teinture, tressage, cuisine, etc. »
Par ses travaux, le Service de la Culture travaille en effet à sensibiliser la population à l’importance de la culture traditionnelle en tant qu’élément d’identité culturelle, et de la nécessité de préserver cette dernière.
ENCADRE
Comment fabrique-t-on le tapa ?
Par Tutana Tetuanui
« Tout dépend de la taille et de l’utilisation du tapa que l’on prévoit. En fonction de ces critères, on choisit l’espèce d’arbre, puis la quantité nécessaire.
1. Déjà, il faut avoir planté des mûriers, des uru ou des banyans
2. Quand les arbres sont prêts, les hommes font la cueillette des branches
3. On commence par gratter l’écorce extérieure
3. Ensuite, on procède à une entaille pour séparer l’écorce de la branche
4. Il faut battre l’écorce avec un tutua ou un kiva* pendant plusieurs heures : plus on veut que le tapa soit souple et fin, plus il faut le battre
5. Nettoyage à l’eau claire, essorage et séchage
6. Teinture et dessin des motifs »
Les arbres à tapa
– Aute ou mûrier à papier : tapa fin et blanc
– Uru ou arbre à pain : tapa épais, rêche et blanc
– Ora ou banyan : tapa épais, doux et brun clair
Pour la couleur
« La couleur du tapa dépend de l’arbre utilisé et du mode de séchage.
Pour obtenir un tapa blanc, on le laisse sécher au soleil. Pour lui laisser une couleur brune, on le fait sécher à l’ombre, dans un lieu ventilé. »
Les outils
– Billot en bois (tutua) ou en pierre (kiva), de forme quadrangulaire, pour poser l’écorce
– Maillet en bois : i’i, pour battre l’écorce
ENCADRE
Chant des opu-nui, les gardiens du marae royal pendant la manipulation des rouleaux de tapa sacré.
Extrait de Tahiti aux temps anciens, Teuira Henry, p. 159
« Ô rouleau (d’étoffe), ô immense rouleau
Qui vient avec le son de son maillet !
C’est pour soigner, pour donner repos, repos
Pour donner comme enveloppe
Pour parfum dans le pays de
Ro’o le chanteur prieur
Pour laisser les dieux aller et venir
Presque subjugé, subjugé
Vaincu je suis ! »