Petites histoires de Mataiea… Mataiea teie i te riri vave noa i te hinapotea e *
Afin d’étendre toujours plus les connaissances liées au patrimoine oral polynésien, le Service de la Culture et du Patrimoine travaille depuis plusieurs mois au recueil de l’histoire et des légendes de la commune de Teva i uta, auprès de ses habitants. Joany Hapaitahaa, historienne, nous offre un aperçu de ses collectes, d’hier à aujourd’hui.
Commune associée de Teva i uta, Mataiea compte à l’heure actuelle plus de 4 500 habitants qui se répartissent sur une bande côtière limitée entre Papara et Papeari.
Un vivier de légendes dispersées dans les mémoires de ses habitants, que Joany Hapaitahaa, historienne au Service de la Culture et du Patrimoine, a décidé d’explorer. « Il n’y a rien de plus d’émouvant que d’entendre une personne parler de sa commune avec ses tripes », confie-t-elle. « C’est un échange dans lequel chacun s’efforce de donner le meilleur de soi-même. Le recueil est un peu comme un jeu de pistes : il faut rechercher les sources que l’on avance, recouper les informations… J’apprécie cette mission, d’autant qu’elle constitue un hommage mérité à sa population ». Entre rigueur scientifique et affection, ce travail permet d’offrir une source de communion et de fierté aux gens de Mataiea, ainsi qu’à tous ceux qui souhaitent découvrir la richesse des histoires fondatrices.
Mataeia, hier
La légende raconte que Teva ou Teua (pluie), fils de Hotutu de Vaiari (Papeari) et Vairimatauho’e de Raiatea, a eu huit enfants, dont Mataiea, qui régnait sur Vaiuriri. Pour gouverner en toute quiétude sur ce large territoire, Teva réunit ses enfants pour former une fédération : Te api nui o Teva. Par la suite, Teva i uta et Teva i tai sont composés, il s’agit des Na Teva e vau.
Mataiea fait partie intégrante de Teva i uta avec Papara, Vaiari iti et Vaiari nui. Elle est située entre Atimaono et Vaiari, délimitée par les terres de Pa mati à l’ouest et Teruamo’o à l’est. Sa montagne est Tetufera (ou Pou rahi o Teva) et ses deux passes sont Ahifa et Rautirare. Sa rivière principale est Vaihiria, avec son grand lac en amont.
L’appellation Vai uriri
« O Vai uriri nui a tere i aoha », c’est le grand Vai uriri qui bougea avec splendeur. Cet extrait d’un chant du district présente Mataiea. Vai uriri ou pape uriri est aussi un toponyme que l’on localise sur la partie gauche de la pointe Oti’aroa. Le vai uriri est un oiseau (pluvier gris) qui habite en bord de rivières, il est l’émanation des Dieux de l’eau. Il semblerait que ces oiseaux se rassemblaient non loin de l’embouchure de la Vaihiria, ce qui confirmeraitle toponyme. Lorsque le chant du uriri se faisait entendre, les habitants de Mataiea savaient qu’une nouvelle leur parviendrait rapidement.
Mataiea
L’expression même mata i te e’a signifie « regarde le chemin » ou « évite le chemin ». Elle remonterait au début du 19ème siècle et il s’agirait de propos adressés au clan des Pomare. Pour la petite histoire, on raconte que dans les années 1850, la reine et le roi Pomare avaient fait un séjour sur Mataiea où une maison leur avait été construite, sur la terre Tairitepeuru. Ma’ihi était leur voisin, il avait une fille appelée Vaea. Lorsque le roi Pomare aperçu cette fille, il ordonna à ses soldats d’aller la chercher pour en faire une de ses maîtresses. Mais ils ne franchirent pas la porte, Ma’ihi s’interposa et fit fuir les soldats. Ma’ihi leur dit alors : « Haere, a mata noa i te e’a, eaha e fariuriu », « regarde le chemin et ne reviens plus ».
L’anguille Fa’aravai a nu’u
Mataiea était réputée pour sa prospérité, l’anguille royale de la Vaihiria étant, selon les récits anciens, la clé de cette richesse.
Ahu’ura de Mataiea et le dieu Tetua ‘airoro conçurent un enfant. Etant d’une haute lignée, le couple décida que l’enfant viendrait au monde sur la montagne Tera’iamano. Lorsque Ahu’ura accoucha, ce ne fut pas un être humain mais une anguille. Effrayée par cette naissance insolite, Ahu’ura tomba à la renverse, d’où l’appellation actuelle de la montagne de Mataiea : Tetufera (à la renverse).
Ahu’ura décida de déposer l’animal dans le lac de Vaihiria.
Un jour, Tauarii, aito de Mahina, alla dans la vallée et traversa une rivière. C’est alors qu’une anguille peu farouche s’enroula à son pied. Tauarii s’empara de cette dernière et l’emporta à Mahina, un acte qui provoqua rapidement la pénurie sur Mataiea, où la nourriture se fit de plus en plus rare. Pour y remédier, Teaha, une merveilleuse danseuse, se chargea de ramener l’anguille. Elle se rendit à Mahina chez Tauarii où la fête bâtait son plein. Teaha se mit à danser, Tauarii fut charmé. Elle aperçut l’anguille mais dut imaginer un stratagème afin de la ramener sur Mataiea. Elle déclara alors à Tauarii qu’elle était enceinte de lui et qu’elle avait besoin de telle ou telle nourriture pour subvenir à ses envies. Celui-ci accepta tous ses caprices. Un matin, elle lui demanda de lui ramener un poisson du large, Tauarii et ses amis partirent sur le champ lui en procurer. C’est ainsi que Teaha s’empara de l’anguille et rentra sur Mataiea. Elle rencontra un tahua qui lui dit que l’animal devait être consacré sur un marae pour le fixer à Vaihiria. L’anguille fut appelée Fa’aravai a nu’u. Une fois l’anguille réintégrée à Vaihiria, Mataiea retrouva l’abondance.
Mataeia au 19ème siècle : entre religion et commerce
Au milieu du XIXème siècle, Mataiea voit des missionnaires catholiques s’installer sur Mairipehe. Pour que le catholicisme progresse à Tahiti – alors largement dominé par les Protestants – le vicaire apostolique Etienne Jaussen met en chantier plusieurs édifices, dont la cathédrale de Papeete en 1855. Sous l’égide du père Armand Chausson, la construction de l’église Saint Jean-Baptiste de Mataeia débute en 1857. Il s’agit de la première église en pierre du fenua. Monseigneur Jaussen y fit construire une mission sur le côté montagne dans laquelle il résidera quelque temps.
C’est en 1862 que l’aventure du coton débute dans la commune voisine de Mataiea, on assiste aussi à l’arrivée des premiers coolies chinois. En 1880, Atimaono deviendra un domaine sucrier et une rhumerie verra le jour après le premier conflit mondial.
Terre d’asile des peintres et écrivains
Un certain Paul Gauguin séjournera 18 mois à Mataiea, d’octobre 1891 à mai 1893. Lorsque le peintre arrive à Tahiti, il assiste aux obsèques du dernier roi tahitien Pomare V et part s’installer sur la côte ouest à Mataiea avec une jeune Tahitienne, Teha’amana.
Gauguin peindra quelques toiles qui décriront son état de bien être à Mataiea dont Arearea, Iaorana Maria et Nafea faaipoipo.
Deux britanniques, Rupert Brooke en 1914 et Somerset Maugham en 1916 entameront les mêmes démarches que Victor Segalen dix ans plus tôt, venu sur les traces de Gauguin. Le premier s’installera à Mataiea en bordure de montagne à Mairipehe, le second rédigera son « Moon and sixpence », qui relate la vie de Paul Gauguin sous la forme d’un écrivain épris des îles polynésiennes.
Mataiea, contemporaine
En mars 2008, Madame Valentina Cross devient maire de la commune de Teva i uta, elle succède ainsi à Victor Doom ainsi qu’à son père Tinomana Ebb. C’est ce dernier qui occupera de 1977 à 2001, soit pendant vingt quatre années, les fonctions de premier magistrat de la commune. Il sera à l’origine de la création du complexe sportif de Nuutafaratea situé non loin de la mairie. L’appellation même de Nuutafaratea (nuu : armée, fara : pandanus, tea : blanc) amène à réflexion. Les récits parlent d’habitants et de guerriers unis autour de leurs chefs pour défendre leur fief. Le complexe est situé sur le terrain de réunion des guerriers d’antan : serait-ce donc un retour aux valeurs communautaires et unificatrices qui ont fait la force de Mataiea ? Que dire des nombreuses plantations agricoles situées sur cette municipalité ? L’usine Morinda y a même posé son siège social, mettant en avant les vertus du nono. Serait-ce un pied de nez à Atimaono et son exploitation dominante du milieu des années 1850 ? Mataiea reste de fait une commune prospère.
En 2007, le chantier du jardin de Vaipahi est mis en route sous l’égide du Service du Tourisme. L’aménagement de ce jardin est non seulement une ode à la nature luxuriante de la commune mais aussi à son patrimoine culturel. En effet, Vaipahi serait, selon les récits anciens, le lieu de purification des âmes avant leur départ pour la pointe Tataa, à Faaa.
Un projet de construction de collège sur Teva i uta devrait prochainement voir le jour.
C’est dire à quel point la commune connaît un accroissement certain. Mataiea apparaît comme une commune prospère, aux richesses historiques et culturelles multiples.