Les trésors Mangaréviens honorés…
Vous êtes nombreux à avoir admiré les trésors de Mangareva, en escale au Musée de Tahiti et des îles de juin à septembre derniers, lors de l’incroyable exposition « Mangareva ». Trésors cultuels et culturels, personne n’osait croire qu’un jour ils reviendraient, qu’ils seraient là, réunis à nouveau. Et pourtant… Désormais, Ils seront à jamais dans la mémoire de tous ceux qui ont eu la chance de les approcher. Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiques au Musée de Tahiti et des Iles et commissaire de l’exposition, nous offre un compte-rendu de la venue de ces trésors.
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« Le jour se leva ce matin du 20 juin, jour de l’inauguration de l’exposition ‘Mangareva’, lorsque le ciel de Tahiti était éclipsé par une brume épaisse laissant filtrer une lumière nacrée sur l’île qui se réveillait. Nous étions au plus fort de la saison sèche, il n’était pas tombé une goutte d’eau depuis plusieurs mois. La pluie épaisse et fine semblait former une chape de plomb… Etait-ce la manifestation des dieux de Mangareva, qui signalaient leur présence ?
À 17 heures, la pluie avait cessé de tomber, le soleil commençait à disparaître derrière l’île de Moorea. Au milieu de la clairière bordée de cocotiers au centre du jardin du Musée de Tahiti et des Îles, le pasteur de la paroisse de Nu’uroa lança les premières paroles polynésiennes dans ce lieu mythique, où rayonnait jadis le grand marae Taputapuatea de Tahiti nui. Ce fut ensuite notre tour, et à l’unisson le personnel du Musée entonna un himene tarava raromata’i en l’honneur des Mangaréviens et de leurs dieux originels. Puis, le son des tambours crépita, les chants emplirent ce lieu si sacré, les danseuses et les danseurs martelaient le sol avec leurs talons baignant dans la lumière chaude et dorée des rayons du soleil de cette fin d’après-midi… Nous vivions des instants magiques.
Le vernissage de l’inauguration fut un immense succès, mais le lendemain, le jour de l’ouverture officielle au public de l’exposition le fut peut-être davantage. Depuis la matinée, des trucks pleins acheminaient au Musée la communauté mangarévienne de Tahiti de toutes les générations. Tels des pèlerins, ils arpentaient les salles du Musée où tout comme la majorité des Polynésiens de l’ancienne génération, ils n’avaient jamais mis les pieds, ou plutôt je devrais dire ‘n’avaient jamais osé’. Le groupe de danse Toromiki Agaauru interpréta à nouveau son pe’i devant une foule qui lançait des cris de joie, les mamas se levaient et dansaient. La joie et une grande fierté pouvaient se lire sur tous les visages.
Les 90 jours de l’exposition furent le théâtre d’un ravissement permanent tant le nombre des visiteurs, Mangaréviens, Tahitiens, Polynésiens, résidents de toutes origines, touristes, enfants, parents et grands-parents furent nombreux, et même plus nombreux encore chaque jour, à venir se recueillir auprès des divinités originelles polynésiennes. Beaucoup revinrent même parfois 4 à 5 fois de suite !
Le rapport des Mangaréviens avec les statues semblait clair et nullement perturbé par leur foi en le dogme chrétien. Ces quelques mots du responsable du groupe de danse, Dany Paheo, me semblent très bien exprimer ce rapport qu’avaient les Mangaréviens avec les statues : ‘Ce sont des tiki que nos ancêtres ont façonnés, ce sont leurs dieux à eux. Mais ce ne sont pas mes dieux. J’ai ma foi chrétienne. Je ne veux pas les adorer. Cependant, je leur rends hommage. Nous avons notre Foi, et nous avons aussi foi en notre culture’.
Nos efforts étaient récompensés au centuple tant la satisfaction de voir les Mangaréviens auprès de leurs statues était grande. C’était l’objectif de notre exposition, mais cela, il n’y avait qu’eux qui pouvaient le faire.
Nous eûmes également une autre immense récompense, ce fut de voir les yeux de tous ces enfants et adolescents briller devant les tiki et se passionner pour leur patrimoine et leur histoire. Grâce à la mobilisation des instituteurs, professeurs de collèges et de lycées, des visites adaptées aux programmes scolaires, ainsi que des récitations de contes de Mangareva permirent aux jeunes de comprendre et de s’approprier l’exposition. Près de 2 000 enfants et jeunes de ce pays vinrent, et si on en juge par leurs réflexions, il a bien semblé que ce fut pour eux une expérience inoubliable.
Le matin du dernier jour, de très nombreux visiteurs arrivèrent. Polynésiens et Mangaréviens vinrent une dernière fois voir les tiki, comme pour leur dire au revoir. Lorsque le Tavana de Mangareva, Monique Richeton, vint à ma rencontre le visage rempli d’émotion, me pressant dans ses bras et m’adressant les quelques paroles de remerciements que j’avais toujours espérées entendre de la part de ceux pour lesquels nous avions essayé de rendre hommage à la grandeur de leur culture et de leur peuple, je compris que tout le travail réalisé avait été récompensé.
Après trois mois d’ouverture, le bilan est donc bien au-delà de nos espérances, puisque près de 10 000 personnes seront venues au Musée voir les trésors de Mangareva. »