Le secteur culturel face à la crise
Le secteur culturel polynésien emploie et fait vivre des milliers de personnes. Musique, danse, art, artisanat et sculpture, apprentissage, patrimoine, archéologie, etc… Bien plus qu’une image, la culture est la vraie richesse de la Polynésie, son ciment même. Pourtant, ce secteur est à son tour rattrapé par les effets d’une houle bien particulière : la crise. Les restrictions budgétaires générales frappent les établissements et services culturels pour 2010. Des questions se posent sur le maintien, en l’état, du champ des activités culturelles… Mais tous les responsables de ces structures, des passionnés, restent solidaires, déterminés, unis face à cette crise sans précédent, dans l’objectif de continuer à faire vivre la culture.
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La synthèse des Etats Généraux, qui avait voulu replacer la culture au centre du développement du Pays, avait par ailleurs dressé un bilan alarmiste, mais non moins réaliste, du secteur culturel polynésien.
« Malgré des retombées économiques et des avantages qui vont au-delà de la culture par le renforcement du lien social qu’elle opère, les pouvoirs publics ne semblent pas avoir pris la mesure de l’intérêt à soutenir la sphère culturelle », peut-on lire. « Le poids du soutien du Pays à la sphère culturelle est en baisse constante depuis 2004. Il représente 0,7 % du budget du Pays en 2009 contre 1 % en 2003, soit 1 159 498 274 F CFP répartis sur 12 institutions culturelles. Les charges de personnel ayant de leur côté augmenté sur la période, les dépenses consacrées aux actions culturelles ont diminué et les comptes des établissements ont été obérés*. Pourtant, la demande des usagers s’est accrue de façon exponentielle, puisque 475 000 personnes fréquentent ces établissements en 2008 contre 310 000 personnes en 2004. Le montant des subventions exceptionnelles attribuées aux établissements, services et associations au titre de l’action culturelle a aussi diminué de 32,4 % entre 2001 et 2008, dans tous les domaines éligibles : fouilles archéologiques, études, publications, création artistique et littéraire, animations, festivals, salons, promotion des langues…. »*
Entre incertitudes et motivations
D’où un paradoxe : reconnue d’utilité plus que générale, la culture polynésienne s’apprête-t-elle à une longue, pénible et dangereuse traversée du désert, alors qu’elle est, au contraire, appelée à montrer la voie ?
Heremoana Maamaatuaiahutapu, Directeur de la Maison de la Culture, fait un constat amer, même si on connaît sa volonté inébranlable à mener à bien les missions qui lui sont confiées : « on nous demande toujours de faire plus avec moins. La Maison de la Culture est l’établissement qui a subi le plus de restrictions budgétaires par rapport à l’ensemble du secteur culturel. La raison ? Nous avons bien travaillé et généré des recettes ! La fréquentation est passée de 40 000 à 160 000 visiteurs entre 2002 et 2006. La conclusion est-elle qu’il vaut mieux ne rien faire ? Le mérite dans l’administration n’est pas reconnu. J’éprouve d’ailleurs une grande lassitude et pourrais même envisager de partir dans un secteur capable de s’épanouir, si la situation venait à perdurer ».
« L’atteinte à l’accès de la culture – des cultures – serait d’une gravité, d’un préjudice incalculable pour la population », analyse Frédéric Cibard, attaché de direction et chargé de communication du Conservatoire. « C’est impensable. Le secteur culturel est celui qui porte, qui forge, qui soutient l’image, l’âme des identités polynésiennes. Il doit être protégé en conséquence, comme une terre sacrée. Bien sûr la crise est là, chacun doit être solidaire, se remettre en cause. Dans le privé les gens souffrent. Dans le secteur culturel, plus en lien avec la population, on le comprend d’ailleurs très bien, et peut-être mieux qu’ailleurs car cela fait longtemps que l’on a intégré le rôle social de la culture, qui est une réelle chance d’insertion. Ceci dit, nous défendrons fermement nos missions. Mais dans le contexte, sauvegarder nos activités serait déjà une belle victoire. Et il faudra faire preuve d’imagination également. Enfin, pour le Conservatoire, il faudra défendre un égal accès à l’art traditionnel et à l’art classique, afin que ces deux arts, qui grandissent ensemble depuis 30 ans, se renforcent et se nourrissent l’un de l’autre, comme deux jumeaux. »
Pour Viri Taimana, Directeur du Centre des Métiers d’Art, « la force de ce pays, c’est sa culture. Elle fait de nous ce que nous sommes. Les touristes, les visiteurs qui arrivent ici viennent à notre rencontre, pas à celle des cocotiers ! C’est donc bien elle que nous devons valoriser. Avec le peu de moyens dont nous disposons – moins 19,6% en 2010 – nous allons tout de même essayer d’offrir de l’animation. Des expos, des concerts, des parcours artistiques insolites… Il n’y a qu’ainsi que nous surmonterons la crise. »
Julien Mai, Directeur de Heiva Nui, pense pour sa part que nous arrivons à un tournant de l’histoire. Il est vrai que le secteur culturel connaît une crise budgétaire importante. Paradoxalement, les activités culturelles ne sont pas en crise ! Il n’y a qu’à regarder du côté de la danse traditionnelle : le nombre d’inscriptions au Heiva augmente chaque année, le nombre d’écoles de danse s’accroît lui aussi… On a pourtant l’impression qu’il faut repartir à zéro… Les grands noms s’en vont progressivement, et les jeunes d’aujourd’hui seront les références de demain. Peut-être qu’il est temps de se réorganiser, de jeter de nouvelles bases pour avancer, en conservant le socle. Sans la culture, le Pays serait une coquille vide. Je crois que ce qui « pêche », c’est le manque de moyen pour la création d’animations, d’évènements. Lorsqu’il s’agit d’accueillir une manifestation, différents établissements sont sollicités, agissant ça et là en fonction de leurs compétences, de leurs budgets. Ne faudrait-il pas centraliser tout ce travail, plutôt que de tâtonner chacun avec son GPS ? Pour avancer harmonieusement, nous avons besoin d’une référence. Il manque un centre culturel, à la manière de centre Tjibaou de Nouméa, pour rassembler matériellement les efforts de chacun. »
* Signifie « ruinés »
* Pour lire la synthèse dans son intégralité : http://www.etatsgeneraux.pf/spip.php?page=article&id_article=121