L’exposition Mangareva a réveillé beaucoup d’émotions
S’agit-il de ton premier séjour en Polynésie ?
Oui. Et comme pour beaucoup de gens, c’était un vieux rêve de visiter Tahiti…. Enfant, j’ai lu Melville, Cook et les autres navigateurs. Les îles polynésiennes représentent une véritable fascination pour les anthropologues !
Et quel est ton sentiment sur Tahiti, maintenant que tu as réalisé ce rêve ?
Je suis arrivée de nuit, donc je n’ai pas vu grand chose au premier abord. Et lorsque je me suis réveillée le lendemain matin, que j’ai découvert cette végétation environnante, le récif, le lagon, j’ai été éblouie ! Ma première impression, celle qui m’a le plus frappée, c’est la relation que semble entretenir la population avec la nature, qui paraît très forte. Ce contact est très différent de celui que nous connaissons en Méditerranée. Ici, j’ai le sentiment que les gens ont organisé leur société avec la nature.
Comment s’est déroulée votre rencontre entre le Musée Missionnaire Ethnologique du Vatican (MMEV) et le Musée de Tahiti et des Iles ?
Repartons du début. L’exposition sur les divinités des Gambier est une initiative de Philippe Pelletier, conservateur du Musée du quai Branly. Il m’a approchée voilà quelque temps pour me parler de son projet, auquel j’ai immédiatement adhéré. C’est une politique que je souhaite mettre en place au MMEV : prendre contact avec les populations qui ont créé les objets afin de savoir ce qu’elles veulent en montrer. C’est primordial. Nous, institutions muséales, devons instaurer et promouvoir le dialogue et la connaissance. J’ai déjà entrepris des démarches dans le sens de l’exposition « Mangareva » en me rendant au Canada chez les MicMac, ainsi qu’avec les Bororos du Brésil, pour dialoguer. Nous devons ouvrir nos musées. Ce que je souhaiterais, c’est organiser des journées d’étude avec les natifs des pays desquels proviennent nos collections afin de parler avec eux de la complexité du des musées qui exposent des collections ethnologiques. Complexe car il faut leur expliquer pourquoi les musées possèdent aujourd’hui ces œuvres, comment et pourquoi elles sont arrivées jusqu’à eux, et ce qu’ils en font…
Que penses-tu de la politique de restitution des objets de certains pays ?
La politique de restitution des objets est complexe, importante et très controversée depuis plusieurs années. Une première étape qui peut et doit être faite est la restitution du savoir, tout comme, par exemple, la situation actuelle des objets et la manière dont ils y sont arrivés. Pour cela, nous devons travailler tous ensemble.
Quel a été ton parcours professionnel, avant de devenir conservateur du MMEV ?
J’ai fait des études d’Anthropologie en Italie, de sémiotique et de logique. J’ai d’abord travaillé pour le Musée National d’Ethnographie Pigorini à Rome pendant 15 ans. En 1992, j’ai intégré le MMEV.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette institution ?
Ce musée a ouvert en 1927 et a fermé en 1960, pour ré-ouvrir en 1970 dans le Vatican. Il conserve des objets en provenance des continents américain, océanien, asiatique et africain. Aujourd’hui, notre objectif est de remettre à niveau la didactique et la communication afin de le rendre plus accessible au public. Pour ce faire, je pense justement demander la collaboration des musées natifs, pour obtenir d’eux des témoignages sur la représentation et la relation qu’ils ont avec leurs objets.
Pourtant, plusieurs siècles après, les besoins et les démarches des populations qui ont créé ces objets ne sont plus les mêmes…
Si certains peuples ont effectivement oublié l’utilité des objets créés par leurs ancêtres, ils n’ont pas pour autant oublié la relation avec la matière. Leurs objets sont des témoignages de la construction de l’humanité. La fonction actuelle de ces œuvres ancestrales est, je crois, de mettre en relation les hommes, la communauté. Et ce même si on ne souvient pas de leur fonction passée, que celle-ci n’a plus forcément d’incidence dans leur vie. La reconstruction des relations « d’aujourd’hui » est une nécessité.
Quelle est ta plus grande satisfaction, professionnellement parlant ?
L’organisation de l’étude de toutes les collections du MMEV, qui représente plus de 80 000 objets ! Lorsque j’ai intégré l’institution, aucun objet n’était associé à une provenance… Nous avons donc fait appel à des experts pour reconstruire l’histoire de ces objets. A ce jour, 10% de la collection est étudiée. Je suis heureuse d’avoir pu mettre en place le projet de conservation du musée, à savoir, outre l’étude scientifique, la désinfection générale et l’inventaire informatique des collections.
Que penses-tu de l’exposition Mangareva du MTI ?
Je la trouve excellente, particulièrement dans la reconstitution du contexte historique. J’ai vu les Mangaréviens visiter l’exposition et ressenti le mana qui les habite. Cette exposition a réveillé beaucoup d’émotions et, je l’espère, va rendre des forces à la population.
Quelle est ta relation avec les objets avec lesquels tu travailles ?
Déjà, je les regarde avec beaucoup de respect. Mais avant de voir un objet, je vois d’abord une population, une histoire, souvent terrible. Je recherche tout ce qui peut être lié à cet objet : la population, certes, mais aussi les chants, les poésies, je veux écouter et entendre l’objet avant de l’étudier.
* Figures de divinité Tu et Rongo, effigie de divinité Eketea