Le dieu Rao consacré au Curcuma longa
Rencontre avec Tara Hiquily, Commissaire de l’exposition « Mangareva, Panthéon de Polynésie » et Chargé des collections ethnographiques au Musée de Tahiti et des Iles.
En attendant l’ouverture de l’exposition « Mangareva, Panthéon de Polynésie » au Musée de Tahiti et des Îles en juin prochain, Hiro’a se propose de vous faire découvrir chaque mois quelques une des plus extraordinaires pièces de cette exposition. La statue du dieu Rao, collectée en 1836 à Mangareva par les pères de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus au moment de la conversion des habitants de l’île au christianisme, compte parmi les œuvres les plus remarquables de l’art océanien.
[singlepic id=61 w=320 h=240 float=left]D’après Catherine Orliac, dans son article « Le Dieu Rao de Mangareva et le Curcuma longa » publié dans Le Journal de la Société des Océanistes en 2002.
Comme ailleurs en Polynésie, la conversion au christianisme de l’île de Mangareva, sur l’archipel des Gambier, s’accompagna de nombreux autodafés*, de la destruction des « idoles » et des sanctuaires ancestraux. Cependant les spécimens les plus remarquables de l’art mangarévien ont pu être sauvés, à l’image de cette statue du dieu Rao, qui porte le numéro 3 dans la liste du père Caret établie en 1836. Cette liste accompagnait une malle remplie « d’idoles », expédiée à la congrégation des Picpussiens en France pour témoigner de la réussite des missionnaires. La statuette de Rao est haute de 106 cm, et large de 15,5 cm.
Hautement symbolique…
Selon les missionnaires, les dieux Rao et Tupo étaient « consacrés (à) une plante appelée ranga », (ou rega), le Curcuma longa. Ce nom vernaculaire* ranga désignait non seulement la plante elle-même mais également la préparation culinaire issue de la cuisson du tubercule. Plus communément appelée safran des Indes ou turmeric, sa couleur jaune était hautement sacrée aux Indes et en Océanie. Le colorant était utilisé durant les danses et les fêtes pour peindre le corps des jeunes filles et jeunes garçons qui étaient tapu (sacrés), ce qui explique peut-être pourquoi les missionnaires désignèrent le ranga par le terme « idole de l’impureté ». Il était aussi appliqué sur les ventres des mères des futurs chefs au cours du sixième mois de grossesse. Cette plante était par ailleurs très prisée pour les teintures de tapa, et aussi comme aliment ou condiment ajouté à la pâte de l’arbre à pain (mei) fermentée, appelée ma. Le ranga était enfin utilisé en Polynésie dans la préparation de médicaments.
Le Curcuma Longa n’est plus cultivé aujourd’hui à Mangareva mais il était autrefois si hautement estimé qu’il était placé sous la protection de plusieurs dieux : Rogo (Rongo), Meihara-iti et Ragahau. Des lieux sacrés, des prêtres taura rega, des cérémonies et des chants lui étaient dédiés. Le dieu Rao était plus particulièrement invoqué au cours de sa plantation.
… Jusque dans la matière
Cette représentation du dieu Rao a été sculptée dans une branche de miro qui poussait à l’époque abondamment dans l’archipel des Gambier. Cet arbre, qui peut atteindre une quinzaine de mètres de hauteur, jouait un rôle important dans la culture polynésienne traditionnelle. Aux îles Gambier particulièrement, il était employé lors de la cérémonie du eketea, au moment de l’intronisation d’un prêtre de haut rang.
Plus connu sous le nom de « bois de rose d’Océanie », pour sa couleur légèrement rosée, il se travaille bien grâce à son grain fin et se polit facilement. Il est souvent cité dans les textes ethnographiques et la tradition orale polynésienne pour la confection des « idoles » et la sculpture d’objets de prestige.
Datation
Cette représentation du dieu Rao a été datée par G. Bonani, de l’Institut polytechnique de Zurich, entre le début du IX° siècle et le début du XI° siècle. L’ancienneté de cette œuvre paraît surprenante. Comment expliquer en effet que ce bois de dureté moyenne ait pu se conserver pendant plus de 800 ans sans subir la moindre dégradation, dans une région tropicale peuplée d’insectes xylophages ? Ce serait l’objet polynésien le plus ancien connu à ce jour.
[singlepic id=62 w=320 h=240 float=left]Pahu, tambour
Ce tambour est le seul exemplaire complet connu des Gambier. Il a été ramené de l’archipel par l’explorateur Dumont d’Urville en 1838. Haut de 1,05 m, de 26 cm de diamètre, sa membrane est en peau de requin et ses cordes en bourre de coco. Les cordes de tension sont maintenues par des petites protubérances, au-dessus desquelles sont gravés des motifs de chevrons. Une importante pointe à la base peut laisser penser que le pahu était piqué dans le sol, ce qui est unique en Polynésie. Ce tambour en bois de miro est aujourd’hui exposé au Musée du quai Branly.
L’exposition « Mangareva, Panthéon de Polynésie » se tient au Musée du quai Branly, à Paris, jusqu’au 10 mai 2009. Elle ouvrira au Musée de Tahiti et des Iles du 24 juin au 24 septembre 2009.
Pour plus de renseignements : www.quaibranly.fr
Musée de Tahiti et des Îles : 54 84 35
*Autodafé : bûcher, destruction par le feu
*Vernaculaire : propre à un pays, à ses habitants. Langue vernaculaire = langue communément parlée dans les limites d’une communauté.