10 Questions à Jean Kape président de l’Académie pa’umotu – Karuru Vanaga
Quel plus beau cadeau de Noël ? En décembre dernier, un arrêté du Président de la Polynésie Française officialisait la création de l’Académie pa’umotu – Karuru Vanaga. Un projet mis sur les rails en février 2000 par l’association culturelle Te Reo o te Tuamotu et son président, Jean Kape. Karuru c’est la « case », la « maison » ; Vanaga c’est la « connaissance », la « parole ». Sauvegarder la langue pa’umotu, la préserver et la vulgariser, voilà l’objectif de cette nouvelle institution.
1 – Quel va être le travail de l’Académie pa’umotu?
Comme toutes les langues polynésiennes, le pa’umotu est en danger. Nous nous organisons pour essayer de retarder le processus de perdition. Nous devons figer la langue par écrit. Il faut pour cela la codifier. C’est quelque chose qui n’a jamais été fait jusqu’à présent. Ça fait partie du travail prioritaire de l’Académie. Il y a urgence.
2 – Codifier la langue, concrètement, c’est écrire des règles d’orthographe, de grammaire, recenser le vocabulaire…?
Oui, il faut d’abord faire un dictionnaire et ensuite rédiger des manuels de grammaire qui permettront de parler la langue. Il faudra également envisager des méthodes d’apprentissage pour la rendre accessible au plus grand nombre.
3 – Pourquoi prévoyez-vous 14 membres ?
Pour représenter l’ensemble de l’archipel. Nous avons sept aires linguistiques dans les Tuamotu (cf. carte ci-contre) ; sept secteurs dans lesquels on parle une langue, un dialecte spécifique. Nous avons donc envisagé deux représentants par aire afin d’être le plus exhaustif au moment du recensement des termes pour la réalisation du dictionnaire.
4 – Vers quelles personnes vous tournez-vous prioritairement ?
Il faut essayer d’intégrer toute la communauté dans cette affaire. Ce n’est pas uniquement l’affaire des 14 académiciens. Ils ont pour mission de mobiliser leur communauté, leur aire linguistique. Il faut au préalable identifier des personnes référentes pour aller recueillir des connaissances et des critiques. Car tout travail doit être soumis à critiques et en matière de langue, c’est toute la population qui sanctionne : il faut s’assurer que les termes que l’on propose reçoivent l’approbation de la communauté.
5 – Par qui les 14 membres vont-ils être désignés ?
Le premier travail consiste justement à former un comité de sélection pour désigner ces membres. Nous avons déjà proposé des personnalités susceptibles de faire partie de ce comité (cf. encart). Le directeur de l’Académie sera quant à lui proposé par les 14 académiciens.
6 – Qui peut être académicien ?
Nous avons opté pour un principe démocratique : n’importe qui de notre communauté peut proposer sa candidature. Pour l’Académie marquisienne, chaque île s’était réunie pour proposer ses représentants. Compte tenu de la configuration de l’archipel des Tuamotu qui est très vaste et mal desservi, cela constituerait un handicap énorme si l’on suivait le même schéma. Les gens qui souhaitent faire partie de l’académie peuvent postuler en démontrant leur intérêt pour la langue pa’umotu et leur implication dans la culture.
7 – C’est un des critères incontournables ?
La maîtrise de la langue et la connaissance de la culture sont indispensables sans quoi la langue risquerait de ne pas exprimer la culture et ce serait dommageable. On aimerait aussi des gens qui ont déjà montré leurs compétences dans la sauvegarde et la promotion du pa’umotu, comme des enseignants par exemple. Nous avons un bon nombre de compatriotes qui sont passés par l’INALCO* et qui ont enseigné le tahitien et le pa’umotu à l’Ecole Normale et à l’université. Ce sont des personnes toutes désignées car il faut aussi maîtriser au moins le français, et au mieux l’anglais en plus car nous aurons des recherches de filiation à faire sur l’origine d’autres langues de la région qui sont inspirées pour la plupart de civilisations anglophones.
8 – À propos de régions, vous allez réunir les sept aires linguistiques des Tuamotu dans le dictionnaire ?
Nous ne sommes plus en réalité dans cette logique. Les sept aires linguistiques étaient le schéma ancien qui régissait notre archipel en matière de langue quand nos ancêtres se distinguaient de cette façon. Aujourd’hui, plus personne ne parle entièrement l’un de ces dialectes. Nous les désignons par le terme générique de pa’umotu, car il est difficile de déterminer à quelle aire appartient originellement telle ou telle expression. Nous voulons maintenant privilégier cette notion plus générale. Notre démarche s’axe plus en ce sens, vers toutes ces langues rassemblées, à l’image du français qui puisait dans ses langues régionales et même à l’extérieur.
9 – Les exemples des académies tahitienne et marquisienne sont-ils encourageants ? Ces langues sont-elles moins menacées depuis leurs créations respectives?
Moins menacées certainement. Il faut d’ailleurs rendre hommage à leurs travaux qui sont à conjuguer avec ce que fait le système éducatif. Il y a une dynamique qui s’est opérée depuis quelques années. C’est pour cela que nous revendiquions une Académie pa’umotu, pour pouvoir travailler dans la même mouvance et avec les mêmes moyens.
10 – Vous allez proposer votre candidature ?
Oui, et j’essaierai de montrer les actions que j’ai déjà menées pour sauvegarder la langue. Nous travaillons par exemple sur un projet de traduction de la Bible avec l’association Te Reo o te Tuamotu. Une vingtaine de personnes ont apporté leur contribution à ce travail pour pouvoir permettre à la communauté des Tuamotu de prier en pa’umotu. Toutes nos démarches vont dans ce sens de la recherche d’une émanation collective.
* Institut National des Langues et Civilisations Orientales
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Le comité de sélection des académiciens
Il a pour mission de recevoir les dossiers de candidature et d’en faire la sélection. Personnalités, notables reconnus pour leurs compétences linguistiques et culturelles, ce sont au total huit personnes qui sont invitées à s’y joindre : Myron MATAOA, Mehao HURI, Raymond PIETRI, Johanna NOUVEAU, Louise PELTZER, Marc TEVANE, Monseigneur Hubert COPPENRATH et Edgar TETAHIOTUPA.
Le comité devrait être constitué dans les prochaines semaines.